Patrick Abadie, président-fondateur de Delville Management (cabinet spécialisé en management de transition), alerte les cadres dirigeants sur les conséquences de la future réforme des retraites. Poursuivre une activité en réalisant des missions de management de transition est un bon moyen, selon lui, d’amortir la probable forte baisse des revenus.
Quelles seront les conséquences pour les cadres dirigeants de la réforme des retraites, telle qu’elle est actuellement présentée ?
Patrick Abadie : Les cadres dirigeants seront les grands perdants de la réforme et les entreprises seront gagnantes, car elles verront leurs cotisations baisser pour ces cadres, en raison de la forte réduction du plafond de la retraite. Il passerait de huit fois le plafond de la sécurité sociale à trois fois. La chute va être rude, si la loi est votée telle qu’elle est envisagée aujourd’hui.
Les cadres concernés ne peuvent-ils pas épargner ?
P.A. : Épargner en vue de la retraite n’est pas dans la culture française, à la différence de ce que l’on voit dans les pays anglo-saxons. Le prix de l’immobilier a beaucoup augmenté, les placements sûrs ne rapportent presque plus rien et les Français se sont détournés de la bourse suite aux krachs de 2001 et de 2008. De fait, ils ne pourront pas, pour la plupart d’entre eux, compter sur leur épargne en complément de leur retraite. Pour éviter une baisse brutale du pouvoir d’achat au moment de la retraite, réaliser des missions de management de transition est une excellente solution. De leur côté, les entreprises peinent à recruter leurs cadres dirigeants, pour lesquels le taux de chômage est d’à peine 3,5 %. On voit aujourd’hui des cadres de 60 ans à qui l’on propose des CDI, cela n’existait pas il y a dix ou quinze ans.
Comment définir le management de transition ?
P.A. : Il y a deux caractéristiques principales de la demande des entreprises. L’urgence du besoin, parfois moins d’une semaine, et l’importance de l’enjeu. L’entreprise attend un engagement total et immédiat.
Elle a besoin d’une personne pour remplacer un départ brusque ou pour mener à bien une transformation, par exemple le lancement d’une chaîne de production dans l’industrie.
Le temps partiel est-il possible pour un manager de transition ?
P.A. : Ce n’est plus du management de transition, mais du management en temps partagé. Dans une petite structure, cela a tout son sens qu’une personne expérimentée vienne donner un coup de main en temps partiel. Mais nous n’intervenons pas sur ce secteur, car les clients ne sont pas les mêmes. Nos missions s’adressent à des entreprises qui réalisent plus de 50 millions d’euros de chiffre d’affaires et donc, lorsqu’un de nos managers intervient, il est plutôt impliqué à 120 % de son temps.
Pourquoi devient-on manager de transition ?
P.A. : Un manager qui, pour une raison ou pour une autre, perd un CDI, se trouve face à une alternative. Soit chercher un nouveau CDI, ce qui peut demander du temps, soit réaliser rapidement une mission. Beaucoup découvrent le management de transition par nécessité et non par souhait. La première mission peut être un peu subie, mais ensuite de nombreux managers y prennent goût. Ils trouvent une vraie mission, une vraie feuille de route, de vrais objectifs, le tout limité dans le temps. Cela dédouane complètement de l’évolution de sa carrière dans l’entreprise, des enjeux politiques liés aux uns et autres, les galons, le bonus, le prochain poste. Le manager de transition peut enfin travailler comme il le veut. Il ne se heurte pas à un directeur général qui pourrait craindre pour sa place. Avec ses cheveux blancs, le manager de transition rassure tout le monde.
Le cadre dirigeant doit-il anticiper la transition en vue de compléter sa retraite ?
P.A. : Je ne crois pas beaucoup à l’anticipation. Un cadre de 55 ans qui fait une carrière en CDI dont il est satisfait ne va pas démissionner pour aller faire des missions. Eviter d’être un « primo accédant » au management de transition le jour de sa retraite n’est pas un argument. Il n’y a pas de raison de craindre le changement de statut. Dans notre cabinet, nous ne faisons pas de différence entre le jeune retraité et un cadre de moins de 60 ans qui se trouve entre deux missions.
Des missions à l’étranger sont-elles possibles ?
P.A. : Oui, nous avons 15 % de nos missions à l’étranger. Pour moitié, des groupes français ayant un besoin dans l’une de leurs filiales et qui cherchent un Français. Il sera payé en France, via sa propre structure ou via une société de portage, comme n’importe quel autre manager de transition. L’autre moitié arrive depuis notre bureau londonien via notamment des fonds d’investissement.
Quelles sont les qualités d’un bon manager de transition ?
P.A. : Il faut être expérimenté — l’âge moyen est de 55 ans — et ne pas avoir eu un parcours monolithique au sein d’un même employeur. Souvent les cadres ayant réalisé une partie de leur carrière à l’étranger montrent une plus grande capacité d’adaptation. Ce qui va faire la différence, c’est le savoir-être, les « soft skills ». La capacité à s’adapter, à écouter, à être capable de remettre en question ses choix, à faire preuve d’une certaine humilité. Il ne faut pas arriver avec des idées reçues.