Lorsqu’il comprend que l’innovation représente LE chemin définissant — et créant — le monde de demain. Lorsqu’il comprend surtout qu’elle est « l’affaire de tous », Arnaud Groff se met à fabriquer des outils digitaux permettant aux salariés de s’emparer de ce levier pour alimenter de multiples cercles vertueux dans l’entreprise. Rencontre passionnante…
Comment l’innovation s’est-elle invitée dans votre vie au point d’en devenir le centre ?
Arnaud Groff : Enfant, j’habitais au-dessus d’une école Freynet, la pédagogie du « Why ? »… Pourquoi ?… Cela m’est revenu en tête lorsqu’après mes classes préparatoires j’ai intégré un laboratoire de l’ENSAM où toutes les sciences étaient à l’œuvre, travaillant au même niveau, une vraie ruche de diversité. J’y ai découvert que l’innovation était la dimension même qui définissait le monde de demain ; elle était cette faculté de l’Homme lui ayant permis de survivre et d’évoluer. Le but de l’innovation — que l’on assimilait encore bien trop à l’époque à la recherche — était de conduire au meilleur et non au « plus ». Et surtout, d’évidence : elle était l’affaire de tous !
Quel fut alors votre parcours en innovation ?
A. G. : Après un break durant lequel j’ai travaillé chez un menuisier pour me familiariser avec la notion de talent, j’ai repris mes études, guidé par cette quête du sens : « why ? ». Ayant découvert en étudiant les grands groupes que l’innovation y était focalisée sur la technologie et qu’une réappropriation par tous était donc nécessaire, j’ai créé mon cabinet et développé des serious games dans ce sens. Puis je suis entré au CJD où mon ressenti s’est confirmé : en interrogeant l’innovation au sein des PME, il s’est avéré qu’en effet, elle était concrètement l’affaire de tous et fleurissait à tous les niveaux.
Reposant sur l’intelligence collective, l’innovation permet certes à l’entreprise d’améliorer ses résultats et de maintenir sa capacité à survivre, mais elle y change également la vie, permettant à chacun de s’engager dans l’amélioration de l’entreprise au moyen de ses propres innovations.
J’ai alors représenté le CJD au sein d’un ministère et pu étudier comment l’innovation était perçue partout ailleurs dans le monde, quelle logique d’écosystème la guidait et combien elle était davantage une philosophie qu’un métier. Reposant sur l’intelligence collective, l’innovation permet certes à l’entreprise d’améliorer ses résultats et de maintenir sa capacité à survivre, mais elle y change également la vie, permettant à chacun de s’engager dans l’amélioration de l’entreprise au moyen de ses propres innovations. Et de grandir avec elle.
En termes de développement personnel, qu’apporte humainement d’apprivoiser l’innovation ?
A. G. : Le salarié qui, dans un premier temps, se dit : « si je m’engage plus, cela rapporte quoi ? A qui ? Au patron ! » va, en s’engageant dans cette démarche, redécouvrir nombre de grands principes : le respect de la diversité, observée soudain comme effectivement riche et productif, la croyance dans l’homme et dans les valeurs de la citoyenneté, le fait que la vie soit — de fait — effectuale : rien n’est écrit d’avance, nous écrivons le chemin au fur et à mesure, pas à pas, ensemble… et ça marche. Tout ceci tandis que lui-même, tout en renforçant sa boîte, se valorise, obtient la confiance du dirigeant et de ses collègues, renforce sa propre capacité de résilience, son agilité, son champ d’action, etc. Cercle vertueux.
Quelle fut votre contribution au CJD en matière d’innovation ?
A. G. : Engagé en section à Perpignan où j’ai donc été en contact avec une grande diversité d’acteurs qui m’ont permis de voir comment l’innovation transformait de manière étonnante certaines PME, j’ai été challengé par Michel Meunier, alors président du CJD, qui m’a donné deux ans pour montrer que l’innovation n’avait rien à voir avec la R&D (comme beaucoup le pensaient encore), créer des états généraux et un commissariat à l’innovation au sein du CJD. Mission accomplie ayant débouché sur neuf résolutions aujourd’hui appliquées et m’ayant permis de beaucoup apprendre.
Après l’« agilité », l’innovation est sans doute l’ingrédient-panacée le plus mis à toutes les sauces dans la presse. Quelles exagérations aimeriez-vous rectifier ?
A. G. : La France est malheureusement l’un des seuls pays au monde à refuser que l’innovation soit un concept désormais scientifiquement cartographié. On sait ce qu’elle est et comment elle fonctionne, mais non : on préfère s’en remettre à des gourous. Soit l’utopiste : « L’innovation, c’est génial ; elle va tous nous conduire sur Mars ! », soit le flippé : « Ouvrez les yeux : l’innovation est en train de tous nous ubériser ! ». Or, les seuls experts de l’innovation sont les dirigeants ; ceux qui la vivent et témoignent de ce qu’elle est : une métamorphose collective, un chemin de transformation reposant sur le potentiel humain, une évolution et non une rupture…
De quelle façon avez-vous vous-même innové dans le domaine de l’innovation ?
A. G. : J’ai commencé avec les serious games en 2000, poursuivi avec la Fabrique à Innovations en 2003, laquelle permettait aux consommateurs de s’investir dans la co-conception de produits et enfin, en 2016, j’ai été rejoint par deux de mes anciens élèves avec lesquelles nous avons adapté cette Fabrique à l’entreprise en créant BloomUp . Des campus digitaux permettant aux salariés d’avoir un espace où s’engager pour participer à la démarche collective d’innovation.
Si les JD n’avaient qu’une seule chose à retenir à propos de l’innovation ?
A. G. : L’innovation doit être utile, centrée sur les usages. Ensuite, il ne faut pas la percevoir uniquement du point de vue des résultats ; car même si ceux-ci ne sont pas extraordinaires, le ROI est toujours positif. L’innovation est un chemin où tout le monde apprend ; un chemin permettant à l’entreprise de renforcer grandement son capital humain et sa faculté de résilience.
De quoi n’a-t-on pas parlé qui soit important pour vous ?
A. G. : L’innovation va de pair avec le digital (ce diable !). Associés, ils nous font toucher du doigt l’entreprise de demain. Loin d’être disruptive, l’innovation ramène aux fondamentaux humanistes. Là où elle est bien menée, plus de 50 % des salariés s’engagent sur autre chose que leur job ; sans être payés davantage. Se crée alors peu à peu une reconnaissance mutuelle associée à un vrai bien-être ; ne nécessitant l’installation d’aucune table de ping-pong ! Bien-être tellement palpable qu’il va de plus servir (bonus) de critère de différenciation par rapport aux donneurs d’ordre.