Ces derniers mois, de nombreux faits et leur résonnance médiatique ont révélé l’ampleur des violences faites aux femmes. Si la panacée n’existe malheureusement pas en la matière, une jeune start-up lyonnaise a élaboré une réponse pour le moins innovante.
« La violence à caractère sexiste ou sexuel est une réalité quasi quotidienne pour une grande partie des femmes au travail », affirme Juliette Clavière, directrice de l’Observatoire de l’égalité femme-homme de la Fondation Jean-Jaurès. Une opinion qui s’appuie sur un sondage publié le 12 octobre et réalisé par l’Ifpo à la demande de la Fondation, (Enquête d’avril 2019 auprès d’un échantillon de 5026 femmes, issues d’un échantillon représentatif de la population féminine âgée de 18 ans et plus dans cinq pays, France, Allemagne, Royaume-Uni, Espagne et Italie).
Deux ans après l’éclatement de l’affaire Weinstein (5 octobre 2017), la parole s’est libérée sur les formes de sexisme, comme l’a démontré le succès du mouvement #MeToo. Deux chiffres en attestent dans les résultats de ce sondage : 55 % des Françaises (60 % au niveau européen) déclarent avoir été victimes d’une forme de sexisme ou de harcèlement sexuel au travail au cours de leur vie professionnelle dont 18 % l’ont été au cours des douze derniers mois pour la seule année écoulée (21 % au niveau européen).
Le pouvoir de l’empathie
Comment passer de la libération de la parole à la prévention de tels comportements dans la vie quotidienne dans le monde du travail ? L’arsenal utilisé par les entreprises est bien connu : des jeux de rôle, des exposés sur fond de PowerPoint… Une nouvelle arme vient de faire son apparition, une solution basée sur la réalité virtuelle. Mise au point par une toute jeune start-up lyonnaise, Reverto, ce dispositif a obtenu le Prix de l’Innovation Paris 2019 Préventica au titre de l’E-Formation/Réalité Virtuelle.
Se glisser dans la peau d’une victime, tel est le principe qui a conduit la réflexion de Guillaume Clere, le fondateur de Reverso. Reporter d’images, spécialiste des sujets de société, il a choisi de tourner un film « sur la base de vraies histoires » mettant en scène une jeune femme, interprétée par une comédienne, victime du sexisme ordinaire en entreprise. Tourné en vidéo à 360 degrés, le film titré simplement « La traque », d’une durée de sept minutes, se regarde avec un casque de réalité virtuelle. Son objectif ? Provoquer un impact émotionnel fort chez le sujet qui se trouve littéralement immergé. L’expérience se complète d’un module interactif permettant de faire intervenir un expert sur les situations vécues qui donne des clés et des conseils. Il fait réfléchir sur la nature des phénomènes observés dans le film (interpellations familières, stéréotypes de compétences, ce que dit la loi, ce qu’est la discrimination fondée sur le sexe…). Enfin un quizz anonyme est réalisé pour recueillir l’avis des participants et leur perception.
Vécu émotionnel
« Notre but n’est pas de traumatiser les gens, mais de provoquer une prise de conscience, explique Guillaume Clere. Nous parions sur le ressenti. Nous pensons que la prochaine fois que la personne sera confrontée à une situation de harcèlement sexiste, le vécu émotionnel va remonter. Elle va se souvenir de ce qu’elle a vécu virtuellement et sera donc en état de mieux comprendre ce que les autres vivent réellement ».
Lancé au printemps, le module de Reverto a déjà été adopté notamment par la CGT et le MEDEF qui l’ont inclus dans leur programme de formation. Même s’il est trop tôt pour dresser un bilan qualitatif, Guillaume Clere souligne que « l’impact se révèle le plus fort chez les personnes qui manifestaient peu d’empathie à l’égard des victimes de harcèlement sexiste. Pauline Verduzier, journaliste indépendante qui travaille sur le projet, a pu observer parmi les premiers testeurs une différence de réaction entre les femmes et les hommes souvent » : alors que les femmes avaient tendance à rire, « sans doute par gène ou parce que ce sont des situations dont elles ont déjà l’habitude », les hommes, eux, avaient « beaucoup de réactions physiques, une sorte de crispation, de recul. Peut-être parce qu’après, ils savent qu’ils ne pourront plus nier que cela existe. »
Lutte contre les risques psychosociaux
Le jeune patron de Reverto est bien conscient que son module ne constitue pas « la recette miracle » dans le combat contre le harcèlement sexiste sur les lieux de travail. « Notre vidéo de quinze minutes ne va pas remplacer des formations de deux jours, mais vient en complément de celles-ci. Cette solution est d’ailleurs proposée sur licence de manière autonome ou peut s’insérer dans une formation ou lors d’une journée de sensibilisation. » Reverto qui entend inscrire son action dans le vivre ensemble et la lutte contre les risques psychosociaux, mène des recherches avec des laboratoires, des docteurs en psychologie pour mesurer l’impact de ses contenus en réalité virtuelle.
L’entreprise lyonnaise, fondée en juillet 2018 et incubée à l’EM Lyon (école de management de Lyon), emploie actuellement quatre personnes à temps plein.
La start-up propose également un autre module consacré au harcèlement sexuel en entreprise et prévoit pour début 2020 d’autres modules sur le harcèlement moral, l’inclusion du handicap en entreprise et le harcèlement à l’école. L’entreprise lyonnaise, fondée en juillet 2018 et incubée à l’EM Lyon (école de management de Lyon), emploie actuellement quatre personnes à temps plein, et a bénéficié d’un financement initial classique à toute start-up, des investisseurs (une quinzaine chez des proches et des partenaires), une banque privée et la BPI France (Banque Publique d’Investissement).