Y aura-t-il demain encore des entreprises françaises ?

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Avec la crise sanitaire, le souverainisme économique est une idée en vogue. La dépendance de la France vis-à-vis de l’étranger dans un certain nombre de domaines (médicaments, masques, batteries) a été soulignée. Le rejet par le gouvernement français du rachat de Carrefour par l’entreprise canadienne Couche-Tard traduit l’acuité de cette question qui n’est pas sans lien également avec l’échec de la reprise des Chantiers de l’Atlantique par l’entreprise italienne Fincantieri, en relation avec des investisseurs chinois. Au-delà de ces décisions, la France aura-t-elle la possibilité de récuser les repreneurs étrangers ?

Compte tenu de l’état de l’économie, l’arrivée de capitaux extérieurs apparaît inévitable pour trois raisons : les besoins de fonds propres des entreprises françaises, la faiblesse de l’épargne « actions », et le déficit des paiements courants français. Ces rachats risquent d’être difficiles à gérer du fait de l’hostilité de l’opinion publique.

Les entreprises françaises manquent structurellement de fonds propres. Elles se financent de longue date en recourant aux crédits bancaires à la différence des entreprises anglo-saxonnes qui privilégient le financement par le marché. En période de faible inflation, l’endettement réduit les marges de manœuvre des entreprises même si la baisse des taux a réduit les charges de remboursement. Le financement par le marché apparaît plus efficient sur le long terme, en particulier en ce qui concerne l’engagement de dépenses de recherche ou d’investissement. Les apporteurs de capitaux sont plus sourcilleux sur les résultats des entreprises qui sont à l’origine de leurs rémunérations. L’endettement freine le développement des entreprises dans les périodes de faible croissance ou de récession. Les remboursements sont insensibles aux évolutions du chiffre d’affaires. La crise sanitaire conduit à une nouvelle progression de la dette des entreprises françaises, deux cents milliards d’euros supplémentaires depuis le mois de mars 2020.

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Les secteurs les plus touchés par la crise — l’hôtellerie-restauration, le transport aérien, la distribution, la culture, l’événementiel — auront des besoins de capitaux pour renouer avec la croissance. Ce besoin vaut également pour les secteurs en première ligne pour la transition énergétique, l’automobile, les transports, etc.

La France, un des pays européens qui fait le plus appel aux épargnants étrangers pour financer ses déficits publics et extérieurs

Par tradition et pour des raisons réglementaires, le placement « actions » n’est pas prisé en France. L’encours d’actions cotées détenu par les ménages et les investisseurs institutionnels s’élevait en 2020 à 25 % du PIB, contre 75 % aux Pays-Bas et 220 % aux États-Unis. La possession d’actions est en baisse depuis la crise de 2008. Le durcissement des règles prudentielles (Solvency II) du secteur de l’assurance explique en partie ce recul. L’absence de fonds de pension en France joue également en défaveur de la possession d’actions. Si, le poids des actions cotées est aussi faible en Allemagne qu’en France, les entreprises peuvent en revanche compter sur l’appui de banques locales et sur un capitalisme familial très dynamique.

Les émissions d’actions sont faibles en France, autour de 1 % du PIB par an. Pour augmenter leurs fonds propres, les entreprises sont contraintes de faire appel à des investisseurs étrangers. En moyenne, la moitié du capital des entreprises du CAC 40 appartient à des non-résidents qui exigent, en règle générale, le versement de dividendes plus importants que les investisseurs résidents. Cette majoration peut être assimilée à une prime de risque liée à l’éloignement.

Les rachats des entreprises par des non-résidents sont incontournables en raison de l’existence d’un déficit de la balance des paiements courants qui s’élève à -1 % du PIB par an en moyenne depuis une dizaine d’années. Ce déficit est la conséquence du déficit chronique de la balance commerciale des biens de la France depuis 2003. Les services peinent à compenser de plus en plus ce déficit. La chute des activités touristiques, en 2020 et des exportations d’avions ont accru le déficit des paiements courants de la France. Le déficit courant de l’Hexagone a ainsi triplé l’an dernier, pour atteindre 53 milliards d’euros, soit 2,3 % du PIB, un niveau jamais atteint depuis 1951. Un déficit courant suppose, pour être soldé, une entrée de capitaux ou la sortie de réserves de changes. Étant donné que la reprise du secteur touristique et celle de l’industrie aéronautique seront lentes, la balance des paiements courants risque de rester déficitaire durant plusieurs années. La France est déjà un des pays européens qui fait le plus appel aux épargnants étrangers pour financer ses déficits publics et extérieurs. La France sera contrainte d’accepter le rachat de ses entreprises par le reste du Monde comme cela avait été constaté après la Seconde Guerre mondiale. Cette question du rachat des entreprises par des investisseurs étrangers est une situation que connaît l’Italie qui est également en proie à des problèmes de financement. Les entreprises françaises sont présentes en nombre dans la péninsule italienne en particulier dans le secteur financier.

Le gouvernement français devra, pour les investisseurs n’appartenant pas à l’Union européenne, préciser les conditions d’acquisition des entreprises en fixant une liste claire de secteurs dits stratégiques (armement, espace, intelligence artificielle, etc.). Les questions des synergies industrielles et de l’emploi se poseront immanquablement.

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