Dans les pays de l’OCDE, depuis les années 1980 – en particulier aux États-Unis ou en Allemagne, mais pas en France -, le partage des revenus se déforme au profit des entreprises et au détriment des salariés. Ces dernières années, l’exigence de rentabilité réelle du capital avait progressé en lien avec la baisse des taux d’intérêt. Le maintien d’un chômage élevé dans certains pays a également joué au détriment des salariés tout comme la tertiarisation des économies. Mais depuis trois ans, plusieurs facteurs semblent avoir contribué à un nouveau partage des revenus plus favorable aux salariés.
Des années 1980 aux années 2010, déformation du partage des revenus au profit des entreprises
Depuis les années 1980, le partage des revenus s’est déformé dans les pays de l’OCDE au profit des entreprises. Les profits des entreprises, avant taxes et intérêts, mais avant dividendes, s’élevaient à 16 % du PIB en 2022, contre 11 % en 1980. Cette progression résulte du fait que le recul des taux d’intérêt réels ou nominaux n’a pas été accompagné d’un recul de la rentabilité réelle ou nominale du capital. Au contraire, pendant que les taux d’intérêt réels sur les dettes baissaient, l’exigence de rentabilité réelle du capital augmentait.
Depuis quarante ans, le pouvoir de négociation des salariés baissait en lien avec la baisse du taux de syndicalisation. Au sein de l’OCDE, il est passé de 31 à 16 %. Dans certains pays, il ne dépasse pas 5 %. La réduction du poids de l’industrie qui permettait la concentration d’un nombre élevé de salariés sur un même lieu explique en partie ce recul. En France, l’industrie n’occupait en 2021 plus que 9 % de la population active, contre 40 % en 1973. La tertiarisation des activités s’accompagne d’un éclatement des structures de production moins favorable à l’engagement de luttes syndicales. Le chômage de masse, à compter des années 1980, a conduit également à une diminution des revendications salariales.
L’inversion des facteurs en faveur des salariés
Le mouvement inverse de celui observé depuis les années 1980 est à l’œuvre depuis la fin l’année 2021. Les taux d’intérêt nominaux sont orientés à la hausse en lien avec la progression de l’inflation. Les taux devraient être plus élevés dans les prochaines années que lors de la dernière décennie en raison des besoins élevés d’investissement générés par la transition écologique, l’accroissement des dépenses de santé, mais aussi d’équipements militaires.
Le rapport de force démographique devrait de plus en plus jouer en faveur des salariés. Avec les départs massifs à la retraite, dans les prochaines années, les problèmes de recrutement ne peuvent que s’amplifier. Depuis plus d’un an, les problèmes de main d’œuvre se multiplient. Aux États-Unis, plus de 45 % des entreprises étaient confrontées à des difficultés de recrutement. En zone euro, ce taux est également supérieur à 40 %. Plusieurs pays sont en situation de plein emploi (États-Unis, Allemagne, Tchéquie, etc.). À l’exception des États-Unis, la population active est en baisse. Elle se contracte chaque année, depuis 2012, de plus de 1 % au Japon et, depuis 2016, de 0,5 % en zone euro. Les tensions sur le marché de l’emploi devraient déboucher sur une augmentation des salaires. La crise sanitaire et l’inflation s’accompagne d’une progression des demandes de revalorisation salariale.
La remontée des taux d’intérêt sur les dettes, à l’inverse du mouvement observé des années 1980 à 2020, réduira l’écart entre rendement du capital et taux d’intérêt sur les dettes.
La transition écologique imposera des investissements massifs (production et stockage d’énergies renouvelables, décarbonation de l’industrie et des transports, rénovation thermique des bâtiments et logements) qui se chiffrent, pour l’OCDE, en milliers de milliards de dollars par an sur de nombreuses années. Cet effort d’investissement suppose une augmentation de l’épargne et donc une réduction de la consommation. La rentabilité des investissements relatifs à la décarbonation est pour le moment source d’une moindre rentabilité, ce qui pèsera sur les marges des entreprises et pourrait se traduire par une érosion des bénéfices et donc du cours des actions.
Le partage des revenus pourrait donc être plus favorable aux salariés dans les prochaines années au vu de l’évolution de la démographie et des contraintes de financement. En revanche, les besoins en biens publics, santé, retraite, dépendance, éducation, défense et sécurité devraient conduire à une hausse des dépenses publiques nécessitant une progression des prélèvements obligatoires rognant le pouvoir d’achat des ménages.
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