La crise financière de 2008 a révélé que l’Occident, en premier lieu les États-Unis, avait failli. Sur un tout autre terrain, celui de la santé, l’épidémie de covid-19 semble aboutir au même résultat. Depuis plus de sept mois, les pays dits avancés apparaissent désarmés pour coordonner la réponse médicale et dégager des moyens suffisants tant humains que monétaires pour accroître le nombre de lits équipés.
À défaut d’avoir perdu la guerre face à l’épidémie, force est de reconnaître que ces pays, dont la France, ont perdu une ou plusieurs batailles. Malgré des dépenses de santé qui représentent 12 % du PIB, le système français peine à réagir de manière rationnelle. Sa complexité, son manque d’agilité, son caractère suradministré génèrent des pénuries et des goulets d’étranglement. Les difficultés chroniques à coordonner les différents acteurs, hôpitaux, cliniques, médecine de ville, industrie pharmaceutique, assurance maladie et complémentaires santé, apparaissent aujourd’hui au grand jour. L’épuisement des stocks de vaccins antigrippe en quelques jours qui fait suite à celui des masques, et des produits d’anesthésie, traduit son incapacité non seulement à anticiper, mais à s’adapter à une nouvelle donne.
Depuis des années, les gouvernements, quelle que soit leur obédience ont masqué les coûts en faussant les règles de tarification. Le système administré des prix est déconnecté de la réalité, obligeant les pouvoirs publics à multiplier les rustines, rustines qui prennent la forme d’aides directes aux médecins en vue de compléter leurs faibles honoraires, de déficits croissants pour les hôpitaux et de transferts de la sécurité sociale au détriment des complémentaires. La disparition de toute échelle de valeurs entraîne une déresponsabilisation de tous les acteurs avec à la clef une « soviétisation » du système de santé mettant à mal plusieurs de ses fondements que sont l’égal accès aux soins, la liberté d’installation, la liberté de prescription et le libre choix du médecin. Comment expliquer qu’en France, certains médicaments essentiels, notamment dans le traitement du cancer, ne soient plus disponibles ?
Mondes parallèles
La faute viendrait, en partie, de prix trop faibles fixés par le Ministère de la Santé, prix qui inciteraient les laboratoires à vendre ses médicaments dans des pays où la tarification serait moins contraignante. Comment expliquer qu’en France les délais de construction d’un hôpital atteignent près de dix ans ? Comment expliquer qu’un gouvernement puisse changer, de manière rétroactive, l’équilibre des contrats des complémentaires de santé qui logiquement sont des contrats de droit privé ? Depuis trente ans, l’étatisation plus que rampante du système de santé a prévalu en lieu et place d’une refonte de son organisation. Des mondes parallèles se sont transformés en citadelles, les hôpitaux face aux cliniques, la médecine de ville face aux professionnels des hôpitaux, les administratifs face aux médecins, la sécurité sociale face aux assureurs. En 2002, le Ministre de la Santé, Jean-François Mattei se plaignait du fait que l’arborescence de l’ensemble du système de santé français ne tenait pas sur sa grande table de réunion. Vingt ans plus tard, le même constat pourrait être tenu.
Devant cette montagne de blocages, la seule réponse apportée jusqu’à maintenant consiste à injecter quelques milliards d’euros par-ci, par-là. Ces milliards peuvent peut-être éteindre quelques départs de feu, mais ils ne viendront pas à bout de l’incendie;