Un moment décisif dans notre histoire – peu connu – a eu lieu de la fin du XVIIe siècle jusqu’à la fin du XVIIIe. Cette période n’est pas marquée par un événement précis, mais caractérise un processus graduel, un continuum de changements socio-économiques qui ont posé les bases de nos sociétés industrielles et causé l’essor du capitalisme.
Nous connaissons tous le concept de révolution industrielle ; sur deux siècles, une économie fondée sur l’agriculture migre vers une économie reposant sur la production à grande échelle de biens manufacturés. Dans les grandes lignes et grossièrement résumé, nous pouvons la décrire en deux temps. Au milieu du XVIIIe siècle, une première révolution industrielle a lieu en Angleterre, en Wallonie et en France. James Watts invente la machine à vapeur qui va multiplier la performance dans les usines. La maîtrise de l’électricité dans les années 1870 amorce une deuxième révolution industrielle qui entraînera l’explosion des produits manufacturés, de la fin du XIXe siècle jusqu’à la Première Guerre mondiale.
Comment ce grand mouvement a-t-il pu devenir possible ? A quelles conditions cela s’est-il produit ? C’est ici que le concept de révolution industrieuse, mis en évidence par l’historien économique Jan de Vries dans les années 1990, s’avère intéressant. Celui-ci fait référence à une période de changements économiques, sociaux et culturels en Europe, principalement aux Pays-Bas et en Angleterre, a eu lieu de la fin du XVIIe siècle jusqu’à la fin du XVIIIe.
Une phase préparatoire
Cette révolution industrieuse se caractérise par une hausse de la productivité agricole, rendue possible des changements profonds : rotation des cultures, nouvelles cultures (pomme de terre, maïs) et méthodes d’élevage, mécanisation (charrue à fer, machines de battage), amélioration des pratiques d’irrigation et de drainage, ou encore enclosure (processus par lequel les terres communes sont transformées en parcelles privées).
L’accroissement de la productivité agricole a permis la prospérité des familles européennes (hausse des salaires, développement du commerce), en même temps que la réorganisation de la vie familiale, notamment sur son rythme. De Vries soutient en effet que les ménages ont commencé à réorganiser leur temps et leurs efforts pour augmenter la production destinée au marché, souvent sous la forme de biens fabriqués à la maison, comme les textiles.
Prospérité… Cette période est également marquée par une croissance de la consommation, qui stimule des pans entiers de l’économie manufacturière, comme le textile, la poterie, le verre, ou encore les produits en métal et à provoqué l’ouverture des marchés, en local comme à l’international. L’expansion des empires coloniaux européens fournissent à la fois de nouveaux marchés pour les produits européens ainsi que des matières premières pour l’industrie européenne. Les institutions financières accompagnent ce mouvement en proposant des prêts, facilitant ainsi l’investissement dans de nouvelles technologies et entreprises.
La révolution industrieuse a préparé les esprits et le terrain à la révolution industrielle. Encore peu mise en lumière dans l’enseignement auprès du plus grand nombre, moins spectaculaire que les révolutions industrielles dont elle est à l’origine, la révolution industrieuse constitue cependant le moment clé de notre histoire, le point de bascule qui a fait advenir le monde que nous connaissons aujourd’hui, en modelant de nouvelles représentations collectives et de nouveaux comportements.
C’est ce monde, ces représentations, ces comportements qu’il est nécessaire aujourd’hui de transformer pour nous adapter, pour faire face aux défis écologiques et sociaux. Vivons-nous aujourd’hui une période peu ou prou semblable ?
Illustration : La dentelière de Vermeer (Musée du Louvre, Paris).