Prédire un krach ou une récession est un art difficile. En 2008, de nombreux économistes avaient souligné que la croissance était forte et qu’il n’y avait pas de réels risques. La crise des subprimes doucha leur optimisme. Avant la crise sanitaire, pendant près cinq ans de 2015 à 2019, les pythies en tout genre se faisaient fort, chaque année, de prédire la survenue d’une récession aux États-Unis. Elles furent à chaque fois démenties par les faits.
En 2022, la tendance est à la récession. Rares sont ceux qui croient au maintien de la croissance cette année et l’année prochaine. La Réserve fédérale américaine mène une vaste campagne de resserrement de la politique monétaire en relevant les taux d’intérêt de 2¼ points de pourcentage depuis mars. Elle devrait imposer un autre point de resserrement d’ici décembre. L’Europe manque de gaz naturel en raison de la baisse des approvisionnements en provenance de Russie, ce qui logiquement devrait peser sur la croissance. La croissance chinoise a fortement ralenti en raison des confinements liés à sa politique zéro covid, et les inquiétudes grandissent quant à la fragilité du marché immobilier. Les résultats de la croissance américaine, deux reculs trimestriels successifs du PIB, semblent confirmer que la récession est bien présente.
Le spectre de la récession
Depuis le mois de mars et le début de la guerre en Ukraine, les appréciations des agents économiques sont contradictoires. Les ménages subissent des pertes de pouvoir d’achat et sont inquiets pour l’avenir, mais leur situation financière reste correcte grâce notamment aux compensations mises en œuvre par les États.
Les chiffres décevants du PIB américain ne correspondent pas à d’autres mesures de la production ou à la progression de la masse salariale. Les enquêtes manufacturières enregistrent leurs résultats les plus faibles depuis les premiers jours de la pandémie, mais ce résultat est également le retour à la normale. Depuis mars 2020, les ménages ont acheté de nombreux biens industriels, électroménagers et informatiques. L’équipement remis à niveau, les achats tendent à décliner et à renouer avec leur tendance de longue période. Les services enregistrent une forte demande. Par ailleurs, les problèmes de la Chine entraînent un moindre besoin en énergie, ce qui pourrait faire baisser les prix pour les Occidentaux.
Avec des entreprises enregistrant de bons résultats, l’investissement devrait rester élever ce qui pourrait dégager des gains de productivité et nourrir la croissance de demain. Les ménages disposent d’une épargne sans précédent. Ils n’ont pas touché réellement à leur cagnotte covid. Les soldes bancaires des ménages américains les plus pauvres sont environ 70 % plus élevés qu’ils ne l’étaient en 2019. En France, les dépôts à vue dépassent 520 milliards d’euros et les encours des Livrets A et LDDS sont à des niveaux records.
Surchauffe et chocs d’offre
Si récession il y avait, elle serait d’une nature différente de celle de 2008 qui était née de déséquilibres financiers profonds. La récession version 2022, si elle a lieu, est liée à une surchauffe post covid et à des chocs d’offre. Certes, la transition énergétique et le vieillissement constituent des facteurs qui jouent en défaveur de la croissance à court terme. La crainte d’une implosion économique des pays émergents provoqués par la hausse des taux directeurs de la FED ne doit pas être surestimée, car leur situation n’est en rien comparable à celle de 1997. Leur économie est plus puissante et plus diversifiée, leur dépendance au dollar est moindre.
Certains craignent que les économies occidentales n’arrivent pas à vaincre l’inflation et les moyens mis en œuvre sont faibles. Si la réaction des banques centrales est jugée tardive et limitée, elle est néanmoins plus rapide que dans les années 1980. Avant le resserrement, les prix avaient alors plus que doublé au cours de la décennie précédente. Aujourd’hui, ce chiffre n’est que de 29 %, car l’inflation n’a augmenté que l’année dernière.
La meilleure analogie historique n’est probablement pas la lutte prolongée contre la stagflation des années 1970, mais la flambée des prix à la consommation qui a suivi la perturbation massive de la Seconde Guerre mondiale. Le ralentissement qui a mis fin à cette inflation a été superficiel et a laissé peu de cicatrices. Pour les États-Unis, de nombreux économistes parient sur un retour de l’inflation autour de 4 % en 2023. Les prix des produits agricoles sont en baisse depuis le mois de juin. Les prix du pétrole ont également diminué pour revenir autour de 100 dollars le baril, don prix d’équilibre se situant certainement entre 80 et 100. La moindre consommation et les efforts des pays du Golfe comme des États-Unis commencent à porter leurs fruits. Le point noir au tableau reste la menace de pénurie de gaz en Europe. Si le rationnement énergétique devient nécessaire à l’automne, la production industrielle et donc le PIB chuteront, peut-être fortement dans les économies exposées comme l’Allemagne. Même si la production diminue, l’inflation continuera d’augmenter. Le déficit de main d’œuvre est également un problème. Il est lié au vieillissement des populations occidentales.
La crise en Ukraine amène l’Europe à revoir sa politique énergétique. La douce dépendance qui s’est instituée tant pour le pétrole que pour le gaz semble toucher à sa fin. Les décideurs politiques ont réalisé qu’une transition soigneusement gérée vers une énergie propre atténue également la dépendance vis-à-vis des régimes autocratiques. Les investissements dans les énergies renouvelables augmentent et les gouvernements qui étaient auparavant sceptiques à l’égard de l’énergie nucléaire reconsidèrent leur opposition. Même le Japon, qui a subi la catastrophe de Fukushima en 2011, espère relancer la production d’énergie nucléaire.
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