La sobriété énergétique passe par l’efficacité énergétique. Cela apparaît évident. Le progrès technologique permet précisément d’abaisser le coût énergétique des objets qui nous entourent, à les rendre toujours plus « performants ». Mais quel est le sens de cet effort quand, par effet rebond, celui-ci provoque, par un curieux mécanisme, une hausse de notre consommation d’énergie ?
Le mot « sobriété », depuis un an, est dans toutes les bouches, y compris celles dans lesquelles on ne l’attendait pas. Avec sa politique du col roulé, le gouvernement incite (à raison) l » les Français à réduire leur consommation énergétique, mais plus en réaction à la hausse spectaculaire des prix de l’énergie provoquée par la guerre en Ukraine que par réel souci de combattre le dérèglement climatique.
Il s’agit donc de se montrer « efficace ». L’une des solutions communément acceptées pour y parvenir (du moins en partie) est précisément d’accroître « l’efficacité énergétique » dans l’emploi d’une ressource grâce au perfectionnement des technologies. Cela semble logique : quand une innovation permet de faire autant avec moins, on fait des économies.
Faire autant avec moins incite à faire toujours plus
Or ce n’est pas toujours le cas. Cette logique peut même provoquer l’effet inverse. Cette découverte n’est pas récente puisqu’elle a été réalisée dès 1865 par l’économiste anglais William Stanley Jevons. Dans son ouvrage intitulé The Coal Question (La question charbonnière), il développe son argumentation :
« Si la quantité de charbon employée dans un haut fourneau diminue par rapport au produit, les profits de la branche augmenteront. Du capital nouveau sera attiré, le prix de la fonte baissera, mais sa demande augmentera. Le nombre accru de hauts fourneaux fera éventuellement plus que compenser la consommation réduite de chacun. Et si ce n’est pas toujours le résultat dans une seule branche, il faut se rappeler que le progrès de n’importe quelle branche de l’industrie excite une activité nouvelle dans la plupart des autres branches, et mène indirectement, sinon directement, à entamer nos gisements houillers. »
Ce que veut nous faire comprendre Jevons, c’est qu’augmenter l’efficacité d’une ressource, c’est augmenter sa productivité et donc baisser son coût de production. Et que ce processus économique peut parfois créer une hausse de la demande. Faire autant avec moins incite à faire toujours plus.
La baisse de la consommation de kérosène dans l’aviation commerciale a permis de réduire fortement les émissions de CO2 à la fin du siècle dernier. Mais cette baisse des coûts a encouragé l’apparition de compagnies low cost et, conséquemment, le développement du trafic aérien, contribuant depuis à la hausse des émissions de CO2. Même engrenage avec l’apparition de la technologie LED : les écrans (notamment publicitaires) sont aujourd’hui partout. Peut-on encore sérieusement parler d’« efficacité » ?
Le mythe d’un découplage
Comment gagner des points de croissance tout en réduisant la voilure de notre consommation énergétique ? Le propre d’un paradoxe, c’est qu’il est insoluble. Continuer pourtant à s’employer à lui trouver une solution suppose la croyance en l’idée d’un découplage entre croissance et énergie, c’est rester dans l’illusion qu’un « développement durable » — expression jadis florissante, mais passée de mode aujourd’hui — reste possible. Or cette idée, séduisante pour les adeptes du business as usual et lénifiante, voire anesthésiante, pour la plupart d’entre nous, a pris du plomb dans l’aile ces dernières années.
L’espoir de voir la technologie nous sauver miraculeusement du danger climatique a fait long feu. La sobriété et l’efficacité bien comprises reposent sur une tautologie d’une platitude confondante : la ressource que nous économisons est d’abord celle que nous ne consommons pas et pas forcément celle que nous cherchons à optimiser. Evidence qui, dans le système économique actuel, constitue une pure hérésie.
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