Au cours de la dernière décennie, deux vérités digitales s’étaient imposées : l’insensibilité de ce secteur aux cycles économiques, accélérant en permanence et profitant des crises pour se développer d’une part, et, d’autre part, la mainmise de la publicité en ligne par deux entreprises, Google et Meta. Avec le ralentissement de l’économie chinoise et une possible récession en Occident, les entreprises réduisent leurs budgets marketing. Si jusqu’à récemment, en période de ralentissement, les entreprises augmentaient leur budget de publicités en ligne, il en serait autrement actuellement. Au dernier trimestre, Meta a annoncé sa toute première baisse de revenus d’une année sur l’autre. Un concurrent de Meta, Snapchat, a annoncé le licenciement d’un cinquième de ses effectifs.
Le marché de la publicité en ligne n’est plus en expansion. En outre, un rééquilibrage s’opère entre les différents acteurs. Meta et Alphabet, la maison mère de Google, doivent faire face à la montée de concurrents même si leurs positions restent dominantes dans le secteur de la publicité en ligne. Les deux géants devraient capter pour 300 milliards de dollars de revenus publicitaires cette année, mais les quatre concurrents suivants représenteront près du quart de ce montant. Avant la crise sanitaire, ses concurrents ne réalisaient que 15 % du chiffre d’affaires des deux premiers. Le nouveau venu le plus bruyant sur la scène de la publicité numérique est la société chinoise TikTok. Au cours des cinq années qui ont suivi son lancement, l’application de courtes vidéos a capté une partie des recettes publicitaires qui, auparavant, se logeaient sur Facebook et Instagram, les deux plus grandes marques de Meta. Le chiffre d’affaires mondial de TikTok dépassera 11 milliards de dollars cette année et devrait doubler d’ici 2024.
La société n’a commencé à communiquer les détails de son activité publicitaire qu’en février 2022, quand elle a révélé son chiffre d’affaires 2021 dans ce secteur, soit 31 milliards de dollars. Ce montant correspond aux résultats publicitaires de l’ensemble de l’industrie mondiale de la presse. Les dirigeants d’Amazon parlent désormais de la publicité comme l’un des trois moteurs de l’entreprise, aux côtés de la vente au détail et du cloud computing. Le suivant est Microsoft qui devrait tranquillement prendre plus de 2 % des ventes mondiales cette année, soit un peu plus que TikTok. Son moteur de recherche Bing ne détient qu’une petite part du marché de la recherche, mais est rentable. Son réseau social, LinkedIn, monétise le temps que les utilisateurs y passent à un niveau quatre fois supérieur à celui de Facebook. Il génère plus de revenus que certains réseaux de taille moyenne, notamment Snapchat et Twitter. Microsoft capte des ressources en provenance des entreprises avec une bonne récurrence.
Une législation de plus en plus contraignante
Apple s’est développée sur un modèle n’incluant pas la publicité. Or, depuis quelques années, elle insère des publicités numériques de plus en plus intrusives dans ses applications. Avec l’arrivée à saturation du marché des smartphones, la société cherche de nouvelles sources de revenus en s’appuyant sur 1,8 milliard d’appareils en circulation (smartphones, tablettes, montres, écouteurs intelligents, etc.). L’activité publicitaire d’Apple rapporte 4 milliards de dollars par an, soit autant que Twitter.
Les grandes régies publicitaires digitales doivent faire face à l’évolution de la législation qui est de plus en plus contraignante. Les règles sur la « transparence du suivi des applications » modifient en profondeur le marché. Initiées par Apple pour son intérêt, ces règles ont été reprises par l’Union européenne et devraient l’être prochainement par les États-Unis. La répression du suivi a été particulièrement dure sur les plateformes qui diffusent des publicités display (affichage publicitaire sur des sites internet éditeurs) ciblant les consommateurs en fonction de leurs intérêts, par opposition aux éléments qu’ils ont activement recherchés. Meta, dont les réseaux sociaux sont spécialisés dans de telles publicités, a déclaré en février que ces législations réduiraient de 10 milliards de dollars son activité publicitaire cette année. Il essaie de développer d’autres moyens de déterminer les intérêts des consommateurs. De même, les petites plateformes dépendent des publicités display. Le durcissement de la réglementation a contribué à la chute de la valorisation boursière de Snapchat qui a chuté de 85 %, soit 102 milliards de dollars, au cours des 12 derniers mois.
En revanche, Amazon, Apple et Microsoft sont à l’abri des initiatives anti-pistage, car ils recourent avant tout à leurs propres données. Les publicités d’Amazon sont fondées sur ce que les utilisateurs recherchent sur son site. Il n’y a pas d’utilisation de données extérieures. Bing de Microsoft est également immunisé. LinkedIn l’est probablement moins, même si Microsoft pourrait théoriquement utiliser les données de Bing pour affiner les publicités présentées à ses utilisateurs. Les publicités sur l’App Store d’Apple suivent le même principe qu’Amazon. Les groupes tentent de valoriser en interne les données pour échapper aux contraintes réglementaires. Apple se préparerait à introduire des publicités sur son application de géolocalisation « Maps », pour promouvoir les entreprises locales. Avec ApplePay, cette société détient des données à forte valorisation qu’elle pourrait exploiter finement pour faire un suivi de clients.
Ainsi, ces derniers en fonction de leurs habitudes de consommation ne recevraient pas les mêmes publicités avant de regarder le 20 heures de TF1. Les chaînes de télévision réclament ce développement face à la concurrence de plus en plus importante des services de diffusion en streaming. Si dans un premier temps, Netflix et ses concurrents ne diffusaient pas de publicités, ce modèle est en train d’évoluer. Amazon diffuse déjà des publicités au côté du sport sur son service de streaming Prime Video. Apple a fait de même sur Apple TV+, et pourrait encore lancer un niveau d’abonnement financé par la publicité, comme Netflix et Disney+ l’ont annoncé.
Facebook futur grand perdant ?
Microsoft n’a pas d’offre télévisuelle, mais l’acquisition de Xandr, une société de technologie publicitaire, lui permet de proposer des services de publicités ciblées à destination des applications de diffusion en ligne, Netflix a ainsi choisi Microsoft pour gérer sa prochaine activité publicitaire, à la déception de Google, qui avait soumissionné pour le contrat. La publicité s’étend également au streaming audio. Cela représente une opportunité pour Amazon et Apple qui proposent tous deux ce type de services et fabriquent des haut-parleurs intelligents. Les assistants à commande vocale comme Alexa et Siri, pourraient également être des vecteurs de messages publicitaires. Les jeux vidéo avec leurs centaines de millions de clients sont une cible pour les publicitaires digitaux. La console Xbox de Microsoft affiche des publicités sur le « tableau de bord » à l’écran de l’utilisateur et permettra prochainement aux développeurs de vendre des publicités dans le jeu. Les unités d’Activision racheté par Microsoft comprenant King, le créateur de « Candy Crush », ont généré des revenus de 2,6 milliards de dollars grâce aux publicités et aux achats dans le jeu qui a été acquis par 250 millions de personnes dans le monde.
Le marché de la publicité digitale évoluera dans les prochaines années. Facebook pourrait être le perdant de la mutation en cours sauf à réussir son pari dans le métaverse. Google devrait résister grâce à sa présence dans les applications audio et visio. Les gagnants pourraient être Apple, Amazon et Microsoft qui mixent un grand nombre d’activités complémentaires avec des cibles à forts revenus.
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