Comment sortir du marasme actuel ? Et plus globalement, comment financer la transition écologique et en faire autre chose qu’une simple utopie ? Questions vertigineuses, me direz-vous, auxquelles les économistes « traditionnels » fournissent peu de réponses réellement convaincantes.
Triste conséquence : nous citoyens semblons démunis face à la tâche à accomplir. Nous avons bien pris conscience des dangers qui nous menacent, mais quant à trouver le moyen d’y échapper… Nous nous trouvons d’autant plus démunis que nous ne comprenons strictement rien — ou si peu — aux lois qui régissent l’économie. La complexité des défis qui se posent à nos sociétés et l’aridité de la science qui permet d’identifier les moyens de les relever nous enferment dans une impuissance dont il semble impossible de s’extraire.
Pour se forger un avis pertinent et être en mesure de le défendre, il faut pouvoir s’appuyer sur un socle de connaissances solide, disposer d’une culture économique suffisamment étoffée. Et il nous faut admettre que les millions d’économistes qui peuplent les réseaux sociaux comme jadis les cafés du commerce ne nous sont d’aucune aide, malgré leur agitation.
Gardons-nous des clichés
Mais qui aujourd’hui connaît les mécanismes de la création monétaire, c’est-à-dire le fondement du système économique ? Trois modèles existent. La théorie des intermédiaires est simple, mais a le désagréable inconvénient de ne rien expliquer du tout. Puis avec la théorie de la création ex nihilo nous est contée comment les banques font apparaître l’argent comme par magie. Enfin, avec la théorie des réserves fractionnaires, nous voici propulsés et baladés dans un vaste et subtil jeu de bonneteau. Comprendre tout cela nécessite des efforts que nous ne sommes pas tous prêts à fournir. Vouloir maîtriser les principes et les règles de l’économie, c’est se plonger dans un univers abscons. C’est aussi s’obliger à s’affranchir du sens commun, à se méfier des raisonnements par trop intuitifs. Car on ne raisonne pas sur le plan macro avec les mêmes modèles que sur le plan micro. Les parallèles, aussi séduisants que faciles à établir, se révèlent trompeurs. Ainsi, on ne gère pas les finances d’un Etat comme celui d’un ménage. Méfions-nous du cliché du bon père de famille qui gère son foyer en veillant à ne pas dépenser plus qu’il ne gagne. Cliché parfois repris par des économistes et qui, érigé en modèle, peut provoquer de graves crises si on l’applique sur le plan macroéconomique.
Avec Tout sur l’économie (ou presque), Gilles Mitteau nous plonge dans les rouages de l’économie et nous la rend (enfin) intelligible. L’auteur, ancien trader à Wall Street, sait parler simplement de choses ardues. Il l’a déjà prouvé à travers sa chaîne YouTube baptisée Heu?reka. Avec lui, pas de nouveaux concepts qui enfument plus qu’ils n’éclaircissent, mais un travail soutenu et patient de vulgarisation… et de déconstruction. Car l’ambition de l’ouvrage est clairement affichée : sortir du cadre rigide dans lequel sont posés les problèmes économiques dans la plupart des débats actuels.
Gilles Mitteau rappelle très justement que l’économie est une affaire éminemment politique par les paramètres et les indicateurs que l’on choisit de considérer. Les lois de l’économie ne sont pas immuables comme peuvent l’être celles de la physique. L’auteur les compare à celles d’un jeu d’échecs. Rien n’empêche de changer les règles du jeu, par exemple en attribuant d’autres déplacements à chaque pièce. Il est même possible de jouer aux dames sur un échiquier, c’est-à-dire de jouer à un tout autre jeu. En démocratie, les principes et les règles que le capitalisme a institués devraient pouvoir être débattus. « Et si les entreprises ne cherchaient plus à faire un maximum de bénéfices ? Et si on fixait une loi pour fixer un bénéfice et un revenu maximal ? Et si on mettait en place un contrôle des mouvements de capitaux ? Et si les salariés partageaient le pouvoir de décision avec les actionnaires ? » Tout un programme…
Être créatifs
Mais la vision qui prévaut aujourd’hui chez les économistes est normative : elle tend à expliquer les problèmes et à trouver leur solution dans le cadre du système actuel. Quand l’explication tourne à la justification et quand ces solutions s’avèrent peu ou pas efficaces, voire contre-productives, cela doit nous alerter. Dans les sciences dures, lorsque la théorie peine à rendre compte des observations, c’est que le modèle est pris en défaut, qu’il faut le compléter ou bien en changer. Nous vivons aujourd’hui un pareil moment. La crise due à la pandémie et la nécessité de décarboner massivement et rapidement notre économie nous obligent à dépasser nos représentations habituelles de l’économie. Il s’agit de se montrer créatifs.
Mais pour cela, il faut en premier lieu en finir avec l’impuissance dans laquelle nous sommes maintenus et dans laquelle, en vérité, nous nous maintenons nous-mêmes. Comment ? En devenant tous (un peu) économistes afin d’appréhender la manière dont les problèmes sont posés en économie et les leviers à notre disposition pour tenter de les résoudre. Il ne s’agit pas simplement de saisir comment fonctionne notre système économique pour être capable d’en discerner les enjeux, mais de disposer de suffisamment de hauteur de vue pour comprendre comment ces enjeux sont déterminés et construits politiquement. L’ouvrage de Gilles Mitteau est à ce titre revigorant.
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