Depuis le début de la crise sanitaire occasionnée par la pandémie du Coronavirus Covid 19, les incidents de paiement subis par les entreprises, principalement les PME-TPE se multiplient. Selon la Banque de France, ils ont triplé lors de la semaine du 30 mars par rapport à la même période en 2019 pour atteindre environ 270 millions d’euros. Un comité de crise mis en place le 23 mars par le ministère de l’Economie et la Banque de France réunissant tous les acteurs économiques, avec la contribution du CJD, veille à obtenir des délais de paiement rapides des entreprises. Une première vague d’interventions a été menée avec succès auprès d’une dizaine d’entre elles, dont les achats représentent plusieurs centaines de millions d’euros. Le sujet est capital pour les entreprises sachant que le crédit interentreprises représente pour les sociétés quatre fois le montant du crédit bancaire. Dans un entretien avec Dirigeant, Pierre Pelouzet, Médiateur des Entreprises, en poste au Ministère de l’Economie depuis novembre 2012, et co-président de ce comité, lance un appel à toutes les entreprises pour adopter un comportement « solidaire et responsable » et affirme : « C’est maintenant que les petites structures ont besoin de trésorerie ».
Quelle est l’ampleur de la progression des requêtes qui vous sont adressées depuis l’entrée en vigueur des mesures de confinement ?
Pierre Pelouzet : C’est une vague considérable, un véritable tsunami. Les sollicitations des entreprises ont été multipliées par dix. Nous sommes passés de quelques dizaines par semaine à quelques centaines d’interpellations d’entreprises qui ont tout simplement besoin qu’on les aide.
Pensez-vous qu’un pic ou au moins un plateau a été atteint ?
P.P. : Nous n’observons pas de pic ou tout du moins de décrue. Nous sommes toujours à des niveaux très élevés. Il y a un effet retard par rapport au reste de l’économie et pour une raison simple, la plus grande partie de nos médiations en ce moment tout particulièrement porte sur des retards de paiement qui normalement doivent intervenir au bout de trente ou soixante jours. Nous travaillons actuellement sur des dossiers concernant des biens qui ont été vendus ou des factures qui ont été émises il y a un ou deux mois. Le mouvement peut donc encore durer longtemps.
Nous résolvons des dizaines, des centaines de cas toutes les semaines »
Face à cette explosion des requêtes, disposez-vous de moyens supplémentaires ?
P.P. : La structure que nous avons mise en place depuis dix ans nous aide beaucoup, car elle est extensible. Nous disposons d’une trentaine de médiateurs, des fonctionnaires qui sont de surcroît ces temps-ci très sollicités pour d’autres actions comme les mesures de chômage partiel. Mais nous avons aussi une trentaine de collaborateurs qui sont des bénévoles, des retraités, anciens chefs d’entreprises, anciens juges au tribunal de commerce. Ce contingent-là est très extensible. Nous avons la chance d’avoir très régulièrement des candidats à cette fonction de médiateur. Aujourd’hui, nous les contactons et ils sont nombreux à répondre à l’appel et c’est formidable. D’ores et déjà ce contingent de bénévoles dépasse les soixante-dix.
Quel bilan pouvez-vous tirer de ces actions d’urgence menées depuis le début de la crise ?
P.P. : Nous résolvons des dizaines, des centaines de cas toutes les semaines. Nous avons des entreprises, des petites, des grandes, des administrations qui répondent positivement. D’autre part, un comité de crise a été mis en place le 23 mars sur les délais de paiement interentreprises à la demande du ministre de l’Economie et du gouverneur de la Banque de France, que je co-anime avec le Médiateur du Crédit, Frédéric Visnovsky, et qui regroupe tous les acteurs économiques Medef, Afep, CPME, U2P, CCI et chambres de métiers et d’artisanat ainsi que le CJD qui y contribue via Croissance Plus et le Comité Richelieu. Il fait remonter bien sûr les informations sur les mauvais payeurs. Là nous intervenons immédiatement auprès des directions générales quand il s’agit de mauvais payeurs structurels qui ont bloqué tous leurs paiements.
Vous défendez aussi les bonnes pratiques…
P.P. : Exactement. Nous collectons les données sur les entreprises ayant une action vertueuse, qui ont décidé de payer tout de suite, les PME, les TPE, les artisans, sans attendre les 60 jours, ce qui donne une bouffée d’oxygène aux petites structures. Nous avons rendu publique le 16 avril une liste de dix entreprises privées et publiques-Bouygues Telecom, Danone, EDF, Jouve, Iliad Free, L’Oréal, Enedis, Orange, Sodexo, Système U —, qui ont mis en place cette démarche responsable et solidaire de paiement immédiat des petits fournisseurs. Les mettre en valeur et faire ainsi du « name & fame », je ne m’en prive pas, car cela a un effet d’entraînement très utile. Une masse d’entreprises continue de payer comme avant, juste à l’heure voire avec cinq-dix jours de retard, ce qui est la moyenne. J’aimerais bien que ces entreprises prennent exemple sur ces dix vertueux, paient tout de suite et n’attendent pas 60-70 jours. C’est maintenant que les petites entreprises ont besoin de trésorerie.
Envisagez-vous de « dénoncer » les mauvais payeurs et de les faire connaître au public ?
P.P. : Le « name & shame », c’est un extrême. Il faut le faire si nous n’avons pas d’autre choix. Sur les entreprises que nous avons appelées, nous n’avons pas eu besoin de recourir à cette méthode. Les dirigeants se sont engagés à réagir immédiatement et l’ont démontré. Nous avons des courriels où ils intiment l’ordre à leurs équipes de corriger le tir et de payer immédiatement les fournisseurs. Si d’aventure, une entreprise ne donnait pas suite à nos recommandations, là le dossier passera chez le Ministre. Nous disposons de moyens d’action, de rétorsion, comme par exemple ne pas octroyer des prêts garantis par l’Etat à une entreprise qui ne paierait pas ses fournisseurs.
Que les entreprises qui rencontrent des difficultés à se faire régler des factures n’hésitent pas à nous saisir.
L’Administration, centrale et locale, donne-t-elle le bon exemple ?
P.P. : C’est très clair pour l’administration centrale. Des instructions très nettes ont été données, à commencer par le Ministre de l’Economie lui-même, pour veiller à payer très rapidement toutes les petites entreprises. Les lois et ordonnances sorties ces derniers jours donnent des souplesses aux trésoriers payeurs pour qu’ils puissent accélérer les paiements. Au niveau des collectivités voire des hôpitaux, je ne peux vous garantir qu’ils se sont mis à payer vite et bien, car certaines peuvent avoir des difficultés. Mais que les entreprises qui rencontrent des difficultés à se faire régler des factures n’hésitent pas à nous saisir dans ces cas-là. Si nous faisons de la médiation entre entreprises, nous faisons également de la médiation avec l’administration, les collectivités, et nous essaierons de les aider aussi dans ce domaine.
Existe-t-il un profil type des entreprises qui vous sollicitent ? Essentiellement des PME-TPE ?
P.P. : Tout à fait. Statistiquement, depuis la création de la fonction de médiateur des entreprises, les PME-TPE, artisans constituent 92 à 93 % des entreprises qui nous sollicitent. Il peut nous arriver d’être saisis par des grands groupes qui nous connaissent et qui ont des difficultés avec des sous-traitants. Maintenant, c’est quasiment 100 %. Les retards de paiement ou les retours de contrats qu’ils nous signalent ne se limitent pas malheureusement aux grands groupes, ils concernent aussi des PME-TPE, des ETI.
Comment traitez-vous les dossiers, au niveau local avec une « remontée » à Paris pour certains cas ?
P.P. : De préférence, nous traitons les affaires au niveau régional, grâce à notre réseau de médiateurs. Quand ils sont débordés, les dossiers remontent au niveau national. Historiquement d’ailleurs, les dossiers sont traités à Paris quand il s’agit de groupes ayant leur siège à Paris. Avant la crise sanitaire, quand il était possible de procéder à des médiations physiques, et de faire venir autour de la table les entreprises locales, nous privilégiions l’échelon local.
Quel est le délai moyen de traitement des dossiers que vous recevez ?
P.P. : Nous essayons de rappeler les entreprises dans la semaine, c’est un délai que nous tenons. Je dois vous avouer que les entreprises sont nombreuses à nous remercier de cette célérité. Quant au délai de traitement, il dépend naturellement de la rapidité de réponse de l’autre partie concernée.
Le CJD promeut la règle des « 4 gestes barrières » dans les relations interentreprises, visant à adopter des bonnes pratiques dans les relations avec les clients et les fournisseurs, en vertu d’un principe de base « chaque entreprise est à la fois fournisseur et client d’une autre ». Le faites-vous vôtre ?
P.P. : Je le fais plus que mien ! J’ai participé à le faire partager au plus grand nombre sur les réseaux sociaux (Twitter, Linkedin). Je félicite le CJD d’avoir élaboré ces règles.