L’Union européenne se caractérise par des différences de coûts salariaux élevées. Entre les États d’Europe de l’Ouest et ceux de l’Est, l’écart est de 1 à 3. Entre la France et la Bulgarie, les deux extrêmes, il est de 1 à 8. Cette différence est plus importante que celle constatée aux États-Unis. Au sein d’un marché unique avec libre circulation des capitaux, les entreprises sont incitées à localiser leur production au sein des pays à faibles coûts, ce dont bénéficient la Roumanie, la Bulgarie, la Hongrie la République tchèque ou la Pologne d’autant plus que la productivité dans ces pays est en hausse et se rapproche de celle des pays d’Europe de l’Ouest.
Tout en n’appartenant pas à la zone euro, ces pays ont lié leur monnaie à la monnaie unique pour éviter de perdre en compétitivité. Ils limitent ainsi autant que possible le problème d’augmentation du taux de change. La production industrielle a augmenté de 150 % depuis 1999 en Europe de l’Est quand elle est restée stable en Europe de l’Ouest. Sur cette même période, l’emploi industriel a diminué de 20 % dans la première et de simplement 9 % dans la seconde. Les flux d’investissement dans les pays d’Europe centrale et orientale ont atteint en moyenne plus de 5 % du PIB de 1999 à 2019.
Si les salaires augmentent plus vite dans les pays d’Europe centrale que dans les pays d’Europe de l’Ouest, ce biais de compétitivité sera très long à corriger compte tenu de son importance. Le coût horaire du travail est de 37 euros en France et de 10 en Pologne, de 7 en Roumanie ou de 6 en Bulgarie. Même si les salaires augmentaient de 10 % par an dans les pays d’Europe centrale, contre 2 % en France, l’écart ne serait réduit qu’après vingt ans. Cette situation milite en faveur de l’établissement d’un socle commun de Sécurité sociale afin de limiter les distorsions de concurrence liées aux coûts salariaux. Si dans une phase de rattrapage économique après la chute du Mur de Berlin, les États d’Europe de l’Ouest ont pu accepter les délocalisations, cela devient en pleine période de crise plus difficile à gérer. L’Allemagne a fait toutefois exception en prouvant qu’il était possible de maintenir un haut niveau de production industrielle malgré la concurrence des pays d’Europe de l’Est. Elle a fait de cette concurrence un atout. Elle a multiplié les importations de biens intermédiaires en provenance de ces pays tout en maintenant les chaînes d’assemblage sur son sol. Elle importe deux fois plus de biens intermédiaires que la France, ce qui lui permet de réduire ses coûts de production de 15 à 20 % par rapport à la France.
La libre circulation et la stabilité des taux de change du fait de la monnaie unique conduisent à une spécialisation croissante de l’Europe. Au nom des avantages comparatifs, les États européens se spécialisent dans les domaines où ils sont relativement les moins mauvais. Les pays d’Europe du Sud dépendent ainsi de plus en plus du tourisme. Le solde de la balance commerciale du tourisme est excédentaire de 8 points de PIB pour la Grèce, de 4 points pour l’Espagne ou d’un point pour la France, quand elle est déficitaire de 2 points pour l’Allemagne. A contrario, les pays d’Europe du Sud, France comprise, ont enregistré, un fort recul de l’industrie en vingt ans. Le solde commercial industriel de la France est négatif depuis 2003 et a atteint plus de 50 milliards d’euros depuis plusieurs années. Le niveau de gamme entre les pays européens tend également à s’accroître, l’Europe du Nord, l’Allemagne et l’Autriche robotisent plus rapidement leurs usines que les États d’Europe du Sud. En 2002, le stock de robots par rapport à l’emploi manufacturier s’élevait à 3 % en Allemagne, 2 % aux Pays-Bas, contre 1,5 % en France ou 0,7 % au Portugal.
La spécialisation des économies accroît les écarts de revenus entre les habitants. Les États d’Europe du Sud ayant une économie tertiaire reposant sur le tourisme et les services domestiques se caractérisent par des activités à faible valeur ajoutée donnant lieu au versement de salaires faibles. Cela explique le recul du PIB par habitant depuis les années 2010 en France, en Espagne, au Portugal, en Italie et en Grèce. L’écart de revenus en ces pays avec l’Allemagne augmente fortement, ce qui induit des tensions politiques et sociales qui favorisent la montée d’un sentiment anti-européen. Le recours au fédéralisme constitue un des moyens pour lutter contre ce processus. Le plan de relance en dissociant les montants alloués aux pays à leur poids économique constitue, dans ce domaine, une avancée notable. Les dotations seront en partie accordées en tenant compte de la situation économique des États membres. L’Union européenne devrait s’engager comme cela se pratique aux États-Unis sur des projets structurants, tels que la réalisation de lignes de transports à grande vitesse, de lignes à haute tension, de centrales électriques non émettrices de gaz à effet de serre. Un effort en faveur de la formation apparaît également nécessaire pour faciliter la montée en gamme des économies d’Europe du Sud. Une action énergique est nécessaire pour se prémunir contre tout risque d’éclatement. L’Europe, au-delà des difficultés, a prouvé sa capacité de répondre à une crise centennale, et se doit de réussir la reprise.