« Nos masques sentent le chimique », révèlent des étudiants en médecine. Une fois l’étiquette retournée : « made in China ». Comment, d’un virus « venu de Chine » arrivons-nous à faire des économies jusqu’à notre système de santé ? Analyse avec l’ouvrage Trop de médecine trop peu de soins du Professeur Claude Béraud, Chef de clinique en cardiologie, professeur de gastroentérologie et d’hépatologie, puis Vice-Président de l’université de Bordeaux, ancien médecin-conseil national de la Caisse nationale d’assurance-maladie.
« L’économie de la santé, une science sous-estimée ». Voici le titre du chapitre 4 de l’ouvrage Trop de médecine trop peu de soins, publié chez Thierry Souccar Éditions. Là, on y découvre le cheminement du Professeur Claude Béraud, grand serviteur de la santé publique, Chef de clinique en cardiologie, professeur de gastroentérologie et d’hépatologie, puis vice-président de l’université de Bordeaux. Un homme qui a occupé le poste de médecin-conseil national de la Caisse nationale d’assurance-maladie, avant de devenir conseiller du président de la Mutualité française. Un homme animé par la défense de la qualité des soins, sans concession sur certaines pratiques de santé publique et l’influence des industriels.
Dans le best-seller, l’humaniste met les pieds dans le plat avec une anecdote personnelle : « mon père, expert-comptable, dépensait sans compter. Il fit faillite et mit en faillite plusieurs de ses clients. Ma mère était très économe », confie-t-il, rappelant la dualité qui réside entre trop dépenser d’un côté, trop peu de l’autre. Dans la galaxie santé, il évoque le fait que « le développement de l’économie médicale a permis d’accumuler les connaissances sur les activités médicales et leur coût, mais que les milliers d’études publiées à travers le monde n’ont pas aidé les producteurs de soins à améliorer l’efficience de leurs activités ». Tout en rappelant que « comme le prix Nobel d’économie Aymarta Sen devait l’écrire quelques années plus tard, « l’économie est une éthique ». Les dépenses médicales qui ne contribuent pas à l’amélioration de la santé de la population ou à une meilleure qualité des soins donnés aux malades constituent un gâchis de ressources rares. Elles n’ont pas d’utilité sociale et ne peuvent être justifiées au plan éthique par le profit généré au bénéfice des industriels qui les vendent ». Rappelant au passage la définition de l’économie de la santé : « une discipline dont le développement date des cinquante dernières années. Longtemps, cette activité universitaire fut considérée comme marginale par les économistes. Elle est aujourd’hui reconnue, enseignée et fait l’objet des travaux de nombreux centres de recherche dans le monde, dont une dizaine en France. Elle dispose de publications spécialisées et de banques de données (en France : Irdes, OCDE, Codecs) accessibles sur Internet. Ce développement fut initié aux États-Unis et au Royaume-Uni par des économistes prenant en considération la croissance des dépenses de soins, la multiplication des professionnels des soins, le développement d’un secteur médico-industriel puissant ».
Le sens du sacrifice
Aujourd’hui, en 2020, la crise du Covid impose au secteur médical de s’acharner au front, masque made in China sur le visage. Wuhan, en Chine, épicentre du coronavirus, devient le fournisseur mondial de masques hygiéniques. 300 000 masques périmés datant de la période de l’épidémie du H1N1 en 2009 sont remis en circulation en début de pandémie. Entre la forte demande et la hausse des coûts de transports, le prix du masque made in China bondit et les masques made in France reviennent moins cher. L’économie de la santé translater ici vers un cercle non vertueux. Un étau financier qui provoque un déséquilibre toutes les strates système de soin. Jusqu’à la pertinence dans les choix des acteurs de santé.
« On observe, dans les années 1980-1990, un double processus d’internationalisation : internationalisation d’un savoir scientifique, l’économie de la santé, sur le modèle anglo-saxon et, parallèlement, internationalisation des répertoires d’action en matière de protection maladie. Logiques scientifiques et politiques se croisent et se renforcent, concourant ainsi à une harmonisation cognitive transnationale des politiques de protection maladie. Pour les scientifiques comme pour les acteurs politiques, la réforme des systèmes de santé devient un leitmotiv appelé à faire consensus. La plupart des pays européens adoptent au même moment (années 1990) des réformes de leur système de santé fondées sur des principes d’action et des outils inspirés de l’économie néoclassique et du nouveau management public. De la réforme du National Health System britannique de 1991 au plan Juppé de 1995, en passant par les réformes Seehofer de 1992 et 1997 en Allemagne, ces réformes répondent à un même mot d’ordre : restaurer l’efficience des systèmes de protection maladie par l’introduction de mécanismes de marché dans un cadre public », peut-on lire sur le site Cairn.info, reprenant l’ouvrage De l’économie médicale à l’économie de la santé, Genèse d’une discipline scientifique et transformations de l’action publique de Marina Serré. Le constat est brutal : « cette internationalisation autour du modèle nord-américain ne peut pas ne pas avoir un impact sur le contenu des productions des économistes et, au-delà, sur la politique de santé. L’importation de théories néoclassiques introduit une rupture dans la manière dont est pensée l’action publique : la santé est désormais considérée comme un marché qu’il convient de réguler ».
Un marché mortifère qui va jusqu’à sacrifier ses propres soldats : « les soignants et leur famille représenteraient 17 % des hospitalisations concernant le Covid-19. Une récente analyse menée par Amnesty International fait le triste constat de la vulnérabilité du personnel médical, en première ligne dans la lutte contre la pandémie de coronavirus. Au moins 7.000 professionnels de santé dans le monde sont morts du Covid-19 ».