Depuis les années 1980, les consommateurs des pays occidentaux privilégiaient les dépenses de services au détriment des biens industriels. La soif de loisirs et de bien-être expliquait cette évolution portée également par le vieillissement de la population. Les marchés des biens physiques étaient devenus essentiellement des marchés de renouvellement. Depuis le début de la crise du covid, les ménages ont modifié leurs habitudes de consommation avec des achats importants de biens d’équipement.
Les biens physiques avant les services en temps de pandémie
Depuis le début de l’été 2021, la consommation des ménages en biens manufacturés, au sein de l’OCDE, progresse de plus de 15 % quand celle des services n’augmente que de 10 %. Avant la crise sanitaire, en moyenne lors de ces vingt dernières années, les achats en biens manufacturés connaissaient une hausse de 2 à 4 %. Fin octobre, la consommation en biens industriels est de dix points au-dessus de son niveau d’avant crise quand celle des services est dix points au-dessous. Cette divergence au niveau des achats s’explique bien évidemment par les difficultés rencontrées par les ménages pour consommer des services avec les contraintes sanitaires. Ces derniers se déplacent moins qu’auparavant par crainte de l’épidémie et en raison d’une offre limitée et aléatoire. Les confinements ont conduit les ménages à engager des dépenses pour améliorer leur logement dans lequel ils ont passé plus de temps qu’avant la crise. L’achat ou la location de logements plus grands ou en dehors du cœur des grandes agglomérations induit des dépenses d’équipement. Avec le télétravail, les salariés ont accru leurs dépenses en bureautique personnelle.
Un changement de cap durable ?
Cette déformation de la consommation en faveur des biens physiques est-elle durable ou purement conjoncturelle en lien avec l’épidémie ? Le télétravail semble s’imposer dans la durée tout comme le souhait des ménages à disposer d’un cadre de vie plus confortable et plus proche de la nature. Le passage à des services dématérialisés semble être entré dans les mœurs. La commande des courses et la consultation médicale en ligne sont en forte croissance tout comme la livraison à domicile. Avec le développement de la vidéo en ligne, les salles de cinéma peinent à retrouver leurs spectateurs. L’interrogation au niveau de la consommation se porte sur les loisirs. Retrouveront-ils ou pas leur niveau d’avant l’épidémie quand cette dernière sera réellement endiguée ? L’appétence pour les voyages demeure élevée, mais la problématique du réchauffement climatique tout comme la saturation des lieux touristiques constitue des facteurs pouvant peser sur le retour à la normale pour ce secteur. Le tourisme d’affaires, avec le développement des réunions en ligne, pourrait être durablement affecté.
Le changement des comportements des ménages n’est pas sans incidences sur l’offre. Il est à l’origine d’une partie de l’inflation actuellement constatée. La production de biens nécessite davantage de matières premières et de transport que celle de services. Malgré les restrictions de circulation qui limitent les déplacements, la consommation de pétrole a presque retrouvé son niveau d’avant crise, celle de gaz naturel étant supérieure à ce même niveau. Cette forte demande en énergie a conduit le prix du pétrole à passer de 17 à 80 dollars le baril d’avril 2020 à octobre 2021 et celui du gaz naturel de 2 à 12 dollars le million de BTU. De leur côté, les métaux non précieux et les matières premières agricoles ont connu entre avril 2020 et octobre 2021 une hausse moyenne de 60 %. L’engouement des populations occidentales pour les biens industriels dont une grande partie est produite en Asie a provoqué une hausse inédite des coûts de transport. L’indice du fret maritime est ainsi passé de 1 000 à 5 500 d’avril 2020 à juin 2021 avant de redescendre à 3 000 en octobre 2021 (Baltic Dry Index).
Une réorientation à multiples conséquences
La réorientation de la demande en faveur des biens physiques nécessite une augmentation des capacités de production ce qui nécessite au préalable une hausse des dépenses d’investissement. Depuis le milieu de l’année 2020, les entreprises accroissent leurs efforts d’équipement, ce qui pourrait les conduire à emprunter de manière plus importante. Si ce processus se poursuivait, les taux d’intérêt pourraient augmenter d’autant plus que les besoins de financement publics sont également en forte croissance. Les entreprises comme les administrations doivent, par ailleurs, investir pour décarboner leurs activités.
Depuis la crise financière de 2008, le commerce mondial augmentait moins vite que le PIB en raison de la progression des services. Une réorientation de la consommation en faveur des biens industriels devrait, au contraire, favoriser les échanges internationaux. Cette « remondialisation » a comme limite le souhait des gouvernements occidentaux de relocaliser certaines activités industrielles. Ce processus suppose un effort supplémentaire d’investissement et pourrait aboutir à une augmentation des prix réduisant le pouvoir d’achat des ménages.
Elle est, de ce fait, considérée comme un puissant facteur de croissance en facilitant la diffusion du progrès technique. La demande en biens d’équipement numériques et robotiques devrait s’accentuer afin de faciliter la montée en puissance de l’offre.
Cette réorientation de la consommation peut avoir plusieurs effets négatifs. La fabrication de produits industriels est émettrice de gaz à effet de serre. Pour respecter les objectifs des Accords de Paris, les États devront accroître leurs efforts de décarbonation. La hausse de la demande en matières premières et en énergie devrait s’accompagner d’une progression de leur prix, amenant un regain d’inflation. Les pays désindustrialisés comme la France ou le Royaume-Uni seront confrontés à un déficit extérieur croissant. Le développement des exportations industrielles sera donc une ardente priorité d’autant plus si le tourisme reste longuement pénalisé par la persistance de l’épidémie.