Le 15 novembre dernier, quinze pays d’Asie et du Pacifique ont signé un accord commercial, le RCEP (Regional Comprehensive Economic Partnership), proposé par la Chine à l’occasion de la clôture d’un sommet virtuel de l’Association des nations de l’Asie du Sud-Est (Asean). Une zone de libre-échange sera ainsi instituée entre les dix Etats de l’Asean (Indonésie, Thaïlande, Singapour, Malaisie, Philippines, Vietnam, Birmanie, Cambodge, Laos et Brunei) et la Chine, le Japon, la Corée du Sud, l’Australie, ainsi que la Nouvelle-Zélande. Ces pays représentent plus de 2 milliards d’habitants (30 % de la population mondiale) et 32 % du PIB mondial, contre 22 % en 2002.
Le poids de ces pays dans les exportations mondiales est de 32 % en 2019, contre 19 % en 2002. Le rayonnement et l’influence de ce nouvel espace économique pourraient être renforcés avec l’adhésion de l’Inde qui aurait dû être membre de ce pacte commercial, mais a décidé, en 2019, de s’en retirer par crainte de voir des produits chinois à bas prix envahir son marché. New Delhi a toutefois la possibilité d’intégrer cet espace plus tard. Cet accord est la conséquence du retrait brutal des Etats-Unis de l’accord de partenariat transpacifique (TPP) qui était intervenu trois jours après l’entrée en fonction du Président Donald Trump en 2017. Ce dernier estimait que la Chine devait être isolée afin qu’elle soit contrainte d’accepter de réviser ses pratiques commerciales. La signature de cet accord semble prouver que cette politique a échoué.
Une croissance élevée ces dernières années
L’accord signé prévoit une forte réduction des droits de douane, l’ouverture des services et la fixation de règles commerciales communes. Certains secteurs ne sont pas concernés (agriculture, données digitales) tout comme la protection des travailleurs et les normes environnementales. En revanche, les règles liées à la propriété intellectuelle seront progressivement harmonisées.
Les Etats membres de ce nouveau pacte commercial connaissent une croissance élevée depuis une vingtaine d’années. Leur PIB en parité de pouvoir d’achat est passé de 13 000 à 42 000 milliards de dollars de 2002 à 2019, contre respectivement 12 000 à 21 000 milliards de dollars pour les Etats-Unis et 12 000 et 19 000 milliards de dollars pour l’Union européenne à 27. La nouvelle zone commerciale pèse autant que l’Europe et les Etats-Unis réunis.
Le groupe des pays du RCEP sera le moteur de l’économie mondiale dans les prochaines années. Sa seule faiblesse est sur le plan démographique. Si de 2002 à 2020, sa population d’âge actif a augmenté plus vite que celle des Etats-Unis, il en sera différemment entre 2020 et 2040. En effet, le nombre de personnes d’âge actif devrait diminuer de 0,5 % par an pour les pays du RCEP quand il augmentera de 0,5 % pour les Etats-Unis. La population d’âge actif est en baisse, en Europe, depuis 2010.
Pour les gains de productivité par tête, les pays du RCEP sont nettement au-dessus des deux autres espaces, de 2 à 4 points. Ainsi, en 2019, la croissance de la productivité était de 4 % pour le RCEP, contre 1, 6 % pour les Etats-Unis et 0,2 % pour la Zone euro.
Les dépenses de recherche et développement réalisées par les pays membres du RCEP s’élèvent à plus de 800 milliards de dollars, contre 600 milliards de dollars pour les Etats-Unis et 350 milliards de dollars pour la Zone euro.
Dans ces conditions, durant les années 2020/2040, la croissance potentielle serait de :
- 4,3 % par an dans les pays du RCEP ;
- 2,0 % par an aux États-Unis ;
- 1,2 % par an dans la zone euro.
Cet écart de croissance potentielle pourrait s’accroître avec la crise de la Covid. Les Etats-Unis et l’Europe éprouvent plus de difficultés à maîtriser l’épidémie que les pays d’Asie-Pacifique. Compte tenu de leur poids dans l’économie mondiale, ces pays pourraient être à l’origine dans la période 2020-2040 60 % de la croissance mondiale.
Une volonté d’indépendance
La signature de cet accord répond à plusieurs objectifs. Elle conforte la Chine comme puissance de la zone pacifique. La Chine entend appliquer la Doctrine Monroe à son espace économique, en réduisant l’influence américaine. Il convient de souligner que les dépenses militaires des Etats membres du RCEP sont de 700 milliards de dollars, contre 400 pour les Etats-Unis et 200 pour la Zone euro. Les mesures protectionnistes prises par les autorités de Washington ont incité les Etats pacifiques à dessiner un marché commun afin de multiplier en son sein les échanges commerciaux. Ce choix s’est imposé afin de développer la demande intérieure, les excédents commerciaux ayant vocation à se réduire.
Le pacte commercial du RCEP est loin d’être homogène, le Japon et la Corée du Sud se méfiant des tentations hégémoniques de la Chine. Néanmoins, l’adhésion de ces deux pays matérialise leur volonté d’indépendance par rapport aux Etats-Unis au moment où ces derniers sont moins enclins à assurer la sécurité militaire et économique de leurs alliés. La tentation nationaliste au Japon s’exprime de plus en plus nettement. La volonté de tourner la page de la Seconde Guerre mondiale est manifeste. Un rejet de l’esprit de repentance qui serait imposé par l’occident se manifeste depuis plusieurs années. La Corée du Sud est dans une situation complexe entretenant des relations conflictuelles avec le Japon et la Chine qui soutient la Corée du Nord. La politique d’ouverture de Donald Trump vis-à-vis du régime de Pyongyang a incité Séoul à trouver des contre-garanties auprès du gouvernement chinois.