L’économie de la zone euro est essentiellement financée par le crédit bancaire obligeant les banques à transformer un passif (les dépôts) absolument sans risque en un actif (les crédits) risqué, et perçu comme de plus en plus risqué après chaque crise. Ce défi peut s’avérer extrêmement périlleux si les États décident de procéder à des annulations de dettes et d’en faire supporter une partie aux banques.
Le financement des acteurs économiques de la zone euro s’effectue très largement par le crédit à la différence de ceux des États-Unis qui recourent davantage aux produits de marché, actions et obligations. L’encours de crédits aux entreprises représente plus de 100 % du PIB au sein de la zone euro, contre 18 % aux États-Unis. A contrario, l’encours d’obligations inscrites au passif des entreprises s’élève à 17 % du PIB en zone euro, contre 35 % aux États-Unis. Les entreprises américaines se financent également plus sous forme d’émissions de titres qu’en Europe. Les banques doivent faire face à une exposition aux risques de défaut plus importante en Europe qu’aux États-Unis, les conduisant en permanence à augmenter leurs fonds propres afin de pouvoir absorber les pertes éventuelles sur les actifs. Le ratio de fonds propres des banques par rapport à leur bilan est passé de 8 à 16 % de 2000 à 2020. Ce niveau élevé des fonds propres pèse sur le rendement des fonds propres (RoE) des banques de la zone euro. Depuis la crise financière, il est de 2 à 6 points en dessous de la moyenne de l’ensemble des entreprises non financières de la zone. Cette situation empêche les banques de jouer un rôle moteur dans la réallocation des ressources financières vers les placements « actions ». Elle exige la réalisation de bénéfices conséquents pour accroître continuellement les fonds propres.
Le mode de financement des entreprises par le crédit amène les pouvoirs publics, État et banque centrale, à réguler et à contrôler en permanence et de plus en plus activement les établissements financiers. Depuis le début de la crise sanitaire, des consignes de fermeture et de réouverture des lignes de crédits ont été adressées aux banques. Compte tenu de l’ampleur de la crise covid-19, les banques sont dépendantes des politiques budgétaires et monétaires, ne pouvant à elles seules porter tout le risque de financement de l’économie. L’annonce de Bruno Le Maire d’effacer en partie la dette des entreprises liées à l’épidémie contribue à une nationalisation de la politique du crédit. Les prêts garantis par l’État s’élèvent à 130 milliards d’euros en France, 120 milliards d’euros en Italie et 55 milliards d’euros en Allemagne. L’effacement des dettes ou leur transformation en prêts participatifs provoquera un transfert du risque sur l’État. De la sorte, les ménages qui privilégient la liquidité et la sécurité au niveau de leurs actifs, à hauteur de 70 % du PIB au sein de la zone euro, sont exposés aux risques de défaut de crédit en tant que contribuable.
Le rachat des obligations publiques par la Banque centrale constitue une forme de réassurance. La Banque centrale européenne appartenant aux États membres de la zone euro, le transfert de risques sur celle-ci revient toujours in fine à le faire peser sur le contribuable-citoyen. La banque centrale jouant un rôle de banquier en dernier ressort endosse le risque qui est associé à cette fonction. Elle engage la crédibilité de la monnaie par sa politique de rachat. La Banque centrale européenne se substitue aux banques commerciales comme émetteur de monnaie en reprenant directement ou indirectement les crédits.