Depuis le déconfinement, le redémarrage de l’économie française est réel même si le moteur de la consommation semble bien plus alerte que celui de la production. La crainte est que ce rebond mécanique s’étiole en raison des faiblesses consubstantielles de notre économie qui, depuis plus de quinze ans, est en souffrance et en proie à un déficit de compétitivité matérialisé par un solde négatif de la balance commerciale. Le risque d’une croissance quasi nulle en France en 2021 et 2022 n’est pas négligeable, avec le recul de l’investissement et la perte de capital productif, les faillites, le recul du capital humain, la hausse du chômage structurel et la multiplication des « entreprises zombies » surendettées.
D’ici 2022, le gouvernement entend effacer les stigmates de la plus violence récession enregistrée en France en période de paix. Le délai est court. Il a fallu près de dix ans pour compenser les effets de la crise de 2009 tout en signalant qu’en matière d’emploi au printemps 2020, le taux de chômage n’avait pas retrouvé son niveau de 2007. Compte tenu de l’ampleur de la crise subie entre mars et, mai, l’économie pourrait rencontrer d’importantes difficultés à retrouver une croissance décente.
Après le rebond, l’économie française pourrait entrer dans un tunnel de stagnation. Avant la crise de la Covid, la croissance potentielle était déjà très faible en France, ne permettant guère espérer une reprise franche et durable sans l’engagement de réformes structurelles. La croissance potentielle qui était de 2 % avant la crise de 2008 se situait en fin d’année autour de 0,5 %. La croissance potentielle est une estimation du niveau de croissance du Produit intérieur brut quand les facteurs de production (travail, capital) sont utilisés à leurs pleines capacités toute chose égale par ailleurs.
Endettement croissant
La baisse de l’investissement, de deux points de PIB depuis le début de la crise, constitue une menace pour la croissance potentielle. En outre, cette chute est liée à un long passage à vide entre 2009 et 2016. La remontée de l’investissement était récente et insuffisante pour compenser le déficit des années antérieures. Le sous-emploi pèse évidemment sur la croissance. La France qui se caractérisait avant l’épidémie par un taux d’emploi faible enregistre depuis quatre mois une forte sous-occupation de sa population active avec l’essor du chômage partiel et l’augmentation du nombre de demandeurs d’emploi. L’endettement croissant des entreprises a également un effet négatif. Si dans un premier temps, il permet d’éviter des faillites et des licenciements, dans un second temps, il freine la diffusion du progrès technique et la réallocation des ressources. Il statufie l’économie française qui par nature est assez peu portée au mouvement.
La tentation de sauver par tous les moyens les entreprises en difficulté peut s’avérer à terme très coûteuse. Entre 1973 et 1983, les gouvernements avaient soutenu la sidérurgie et les mines à travers des plans de grande ampleur, ce qui n’a pas permis de sauver les installations en France, mais a obéré les moyens disponibles pour redéployer l’économie vers des secteurs d’avenir.
Prestations sociales… et prélèvements obligatoire
La volonté d’atténuer la récession — qui trouve son origine dans l’épidémie, mais dont les moteurs sont de nature structurelle — peut également peser sur le pouvoir d’achat des ménages en raison de l’abaissement de la croissance potentielle et du rôle accru des prestations sociales qu’il faudra financer par un recours plus important aux prélèvements obligatoires.
Les gouvernements pourraient opter pour des aides plus ciblées en permettant, par exemple, le maintien intégral du salaire à toute personne concernée par la liquidation de son entreprise, qui s’engage dans une formation. Compte tenu des coûts de production, la France ne peut qu’opter pour le haut de gamme. Le coût du salaire horaire dans l’industrie est de 39 euros en France contre 32 dans la zone euro hors France et 12 euros dans les pays d’Europe de l’Est. Le coût élevé du travail n’empêche pas les salariés français d’avoir un niveau de vie inférieur à la moyenne de la zone euro du fait du poids des prélèvements obligatoires. La question du pouvoir d’achat est d’autant plus sensible que le coût de l’immobilier en France est supérieur à ce qui est constaté dans les autres pays de la zone euro. La bonne stratégie est de développer les entreprises sophistiquées en jouant sur la digitalisation et la robotisation. Sur ce dernier point, les entreprises françaises sont en retard par rapport à leurs concurrentes étrangères. Le ratio de robots pour 100 emplois manufacturiers est de 1,5 en France, de 2,5 aux États-Unis, de 3 en Allemagne et de 3,5 au Japon.
Digitalisation rapide des activités
Cette nécessité de modernisation s’impose d’autant plus à la France que plusieurs de ses secteurs économiques importants sont confrontés à une mutation de grande ampleur. L’automobile, l’aéronautique, la production d’énergie, le commerce et le tourisme sont en première ligne dans la crise générée par la Covid-19. À cette liste pourraient être ajoutés les métiers de la finance qui devront évoluer compte tenu de la digitalisation rapide des activités. La fermeture de nombreuses agences bancaires devenues inutiles et la réduction du parc de distributeurs de billets sont autant de signes de cette évolution. En revanche, de nombreux besoins en main-d’œuvre apparaissent dans le commerce en ligne, en informatique ou dans les domaines de la santé, de la pharmacie et des EHPAD. La question de la formation et de la rémunération de ces emplois se pose avec acuité.