Une économie par-delà le profit et respectueuse des ressources, une société privilégiant l’open access plutôt que la propriété, la fin du travail et de l’argent : voilà l’ambition et la promesse de l’Economie Basée sur Les Ressources. Délire utopique ou réalité possible ? Interview de Pierre-Alexandre Ponant, président du Mouvement EBR.
Qu’est-ce que l’Economie Basée sur les Ressources ? Est-ce qu’on peut en expliquer l’appellation ?
L’Économie Basée sur les Ressources est un modèle économique différent celui fondé sur le profit, la compétition et la croissance infinie. Elle permettrait la diminution de 75 % du temps de travail grâce à deux outils puissants : la gratuité et l’automatisation. Ce modèle privilégie l’accès et la philosophie « open source » plutôt que la propriété. Il tend à la création d’une abondance grâce au partage de la production automatisée des richesses. La gestion des ressources serait optimisée grâce à la cybernétique. L’écologie serait au centre de ce modèle en respectant les capacités de renouvellement de la Terre. En matière d’urbanisme par exemple, l’Economie Basée sur les Ressources propose également la construction de villes écologiques circulaires sans voitures dans lesquelles nous pourrions être partout en moins de 10 minutes.
Quels constats faites-vous sur l’économie actuelle ?
Notre économie actuelle est basée sur le profit. Elle se fait en utilisant des ressources, mais sans chercher à les optimiser. Une action est envisagée pour le profit qu’elle va générer, même si cela est aberrant en termes d’utilité, d’écologie et de bien-être humain. On fait venir nos fruits d’Espagne, nos appareils sont conçus pour casser rapidement — l’obsolescence programmée —, le marketing nous pousse à surconsommer et nous délocalisons notre production à l’autre bout de la planète.
De plus, l’économie de marché ne répond plus aux défis du monde actuel. Elle détruit la planète et menace notre survie. 25 000 personnes meurent de faim par jour. On compte 500 millions d’esclaves modernes. Elle ne répond pas non plus aux défis futurs comme le chômage technologique. D’ici 2050 nous risquons de perdre 54 % de nos emplois, remplacés par les machines et l’intelligence artificielle. Si l’emploi n’est plus garanti, on se retrouvera avec une frange de la population très pauvre, peu qualifiée, et une autre très riche qui possède la technologie et les moyens de production.
Pourtant nous pourrions nous réjouir, car si les machines peuvent nous remplacer au travail, cela veut dire que nous pouvons bénéficier de plus de temps libre. Et si le problème était tout simplement le système de répartition des ressources ?
Temps de travail, argent, organisation… quels sont les grands changements qu’impliquerait une économie basée sur les ressources ?
Dans une EBR, aucun revenu ne serait plus nécessaire pour vivre. La production de biens et services serait automatisée au maximum. Pour les tâches non automatisables, un service civique serait instauré, en échange duquel, pour l’équivalent d’une heure de travail quotidienne, vous pourriez avoir accès à tous les biens et services gratuitement, que ce soit l’accès à la nourriture, au logement, à la santé, à l’éducation, aux transports publics…
La société ne serait plus basée sur l’argent, mais sur l’accès aux ressources. Il y aurait ainsi des bibliothèques de prêt d’objets. Dans notre logique actuelle, chacun doit pouvoir être propriétaire de son bien pour pouvoir l’utiliser. Si vous achetez une perceuse, la plupart du temps elle restera longtemps stockée dans votre garage plutôt que d’être utilisée. Il sera beaucoup plus efficient de pouvoir emprunter une grande part de nos objets.
La gratuité est un outil qui pourrait grandement faire baisser notre temps de travail : nous vivons dans une société qui a créé de nombreuses fonctions et besoins inutiles, alors qu’il serait bien plus efficace de garantir l’accès gratuit pour tous aux ressources nécessaires à un haut niveau de vie. Le Mouvement EBR a calculé que si l’on arrive à conjuguer intelligemment notre potentiel technologique et la gratuité, nous pourrions réduire notre temps de travail de 75 %.
Un monde sans argent ni profit n’est-ce pas la négation de l’entreprise ?
Il faut sortir du cliché selon lequel la motivation ne viendrait que du profit. Dans une EBR, les gens auront tout loisir de s’adonner aux domaines qu’ils aiment. Quand on étudie les mécanismes de l’incitation et de la motivation dans les domaines intellectuels, créatifs et artistiques, on se rend compte que la rétribution financière est même contre-productive. Des recherches psychosociales ont montré qu’une fois que l’on a atteint un certain seuil salarial, la productivité et la motivation ne dépendent plus du salaire, mais sont régies par 3 critères : l’autonomie, la maîtrise et le sens.
Quelle serait la place des entreprises au sein d’une Economie Basée sur les Ressources ?
Elle serait prépondérante puisque chacun serait libre de pouvoir travailler sur les projets de ses rêves, toutes les ressources possibles étant mises à disposition des citoyens entrepreneurs pour qu’ils puissent les réaliser. Que vous cherchiez un remède contre le cancer, que vous soyez prof de yoga ou peintre, l’EBR a pour but de maximiser le plus haut potentiel de chacun.
Quelles sont les préconisations du mouvement EBR en matière de responsabilité sociale et environnementale des entreprises ?
Avec la crise écologique et sociale, nous avons plus que jamais besoin d’entreprise ayant pour but d’améliorer la vie des gens. Si en tant qu’entrepreneur, vous arrivez à construire un projet ayant du sens et une utilité au niveau social, technique ou environnemental, vous vivrez votre vie avec le sentiment d’accomplissement le plus total. Il ne faut pas oublier non plus de donner du sens au travail de chacun afin qu’ils puissent tirer le meilleur d’eux-mêmes !
Est-ce que l’EBR n’est pas une belle utopie, irréalisable ?
Les sociétés sont toujours dans un état transitionnel que l’on peut en permanence améliorer. L’Économie Basée sur les Ressources ne réglera pas tous les problèmes, mais sera un système bien meilleur que celui que nous avons actuellement. Nous proposons simplement une direction alternative qui se préoccupe des causes des problèmes. On conçoit les changements requis pour améliorer la vie des personnes et protéger l’environnement. Ça ne paraît utopique que si l’on pense en termes de but final et parfait. La survie de tout système social dépend de sa capacité à permettre des changements appropriés permettant d’améliorer la société dans son ensemble.