Bâtir des relations durables et vertueuses entre les grandes entreprises et leurs fournisseurs, tel est l’objectif du Lab Pareto, lancé en 2016 pour consolider le tissu local de l’emploi. Cette stratégie est plus que jamais nécessaire aujourd’hui à l’heure où l’économie subit toujours le choc de la crise provoquée par l’épidémie du Covid 19, assure Clémentine Parâtre, fondatrice du Lab Pareto et présidente de Lighthouse (ex Processus), PME spécialisée dans la formation (accompagnement du changement par l’intervention d’artistes pédagogues).
La crise provoquée par l’épidémie du Covid-19 a-t-elle freiné le mouvement vertueux engagé par le Lab Pareto dans l’amélioration des relations entre les entreprises et leurs fournisseurs pour recréer de l’équilibre sur les territoires ?
Clémentine Parâtre : En 2016, nous découvrions le chemin d’un trésor. Celui d’une manne d’emplois qui pourraient être créés si les relations commerciales entre grandes entreprises et TPE/PME se transformaient. La communauté du Lab, composée de Directions achats de grands groupes et de dirigeants de TPE/PME, s’engageait sur ce chantier avec deux leviers : influencer l’écosystème pour faciliter l’accès des TPE/PME et augmenter le chiffre d’affaires fléché des grands groupes vers les TPE/PME ; transmettre des outils pour faire progresser la qualité de ces relations (écoute active, empathie, co-construction, etc.). La politique sanitaire mise en place par le gouvernement face à l’épidémie du Covid-19 a eu pour conséquence de révéler au grand jour et dans un temps record les pratiques commerciales des grands groupes vis-à-vis de leurs petits fournisseurs. Nous avons constaté qu’il y avait plusieurs écoles. Les « bons élèves » qui ont pu expérimenter leurs bonnes pratiques (paiement rapide des factures en cours aux fournisseurs, avances de trésorerie sur contrats en cours, maintien des relations…) ; les « mauvais élèves » qui ne craignent même pas la mauvaise image que leurs pratiques drastiques pourraient engendrer (rupture violente de contrats, factures non payées, rupture des relations…). Et entre les deux, trop nombreuses encore, les entreprises n’ayant pas réellement travaillé le sujet de leurs relations aux TPE/PME, dans l’inconscience totale des potentielles conséquences d’un contrat abîmé, d’une commande reportée, annulée, d’une facture non payée. Le mouvement n’a donc été freiné en rien. Tout a simplement été exacerbé par une situation d’une intensité inédite qui a donné peu de place à une réflexion profonde, mais qui au contraire a laissé s’exprimer les réflexes authentiques d’une culture d’entreprise. A titre d’exemple, les clients grands groupes de mon entreprise Lighthouse, également adhérents du Lab Pareto, ont naturellement mis en place des actions visant à protéger leurs fournisseurs. Je ne peux pas dire cela de tous mes clients.
Maintenez-vous comme objectif chiffré que les grandes entreprises réservent 20 % de leurs achats auprès des PME ?
C. P. : Plutôt deux fois qu’une ! Cette crise a révélé la valeur de la mission du Lab Pareto. Les emplois sont majoritairement, on le sait, au sein du tissu de TPE/PME. Flécher ses achats aux petites entreprises, dans son territoire, c’est sauver la branche sur laquelle, nous sommes, in fine, en tant que citoyen, tous assis. Pour les grandes organisations, il ne s’agit donc plus de monter quelques « jolis projets RSE » quelque part au sein de son organisation. Il s’agit de construire une stratégie profonde et durable, au niveau de la Direction Générale, qui mette en musique l’ensemble des parties prenantes (achats, RSE, juridique, métiers) au service de cet enjeu majeur : recréer de l’équilibre sur nos territoires.
Au moment où la solidarité est vantée pour maintenir l’emploi, constatez-vous un changement de mentalités chez les dirigeants d’entreprises ?
C. P. : Avant tout, il est important de rappeler — au — delà du soutien nécessaire au tissu de TPE/PME — ce qui motive un grand groupe privé ou public à travailler avec une petite entreprise. Qualité, innovation, réactivité, proximité relationnelle et terrain et ce avant l’aspect sociétal. Tant mieux d’ailleurs, le contraire serait triste… S’agissant de la période charnière dans laquelle nous nous trouvons, parler uniquement de solidarité me semble un propos très court-termiste, dans le sens où chacun de nous est concerné par l’avenir qui se dessine. Certes, à très court terme pour les TPE/PME, la solidarité est nécessaire pour éviter que des pans entiers de l’économie s’effondrent. En revanche, à moyen terme, que feront les grands-groupes si leurs clients, c’est-à-dire, nous tous, citoyens, n’avons plus de travail et donc le pouvoir d’achat qui nous permet de consommer leurs produits/services ? A mon avis, il est bon de développer une posture de solidarité au quotidien, sur le terrain. Je la vois en effet s’incarner à plusieurs endroits en ce moment. Entre les entreprises, au sein des organisations, dans les organisations patronales et au Centre des Jeunes Dirigeants d’entreprise en particulier. Ceci dit, l’enjeu majeur reste celui de la pédagogie. Prendre conscience qu’il ne s’agit pas de « sauver » les TPE/PME, mais plutôt de mettre en marche l’ensemble des dirigeants de petites, moyennes et grandes organisations pour servir un équilibre global.
La PME est-elle en voie de passer du statut de sous-traitant à celui de partenaire des grands groupes ?
C. P. : A l’image des réactions des grandes organisations pendant la crise du Covid, la posture partenariale n’est absolument pas la même d’un groupe à l’autre. Nous remarquons une appétence de plus en plus forte pour de nouvelles pratiques qui visent à définir le besoin de façon collégiale entre l’entreprise et son partenaire ainsi des bonnes pratiques plébiscitées par le Lab pendant la vie du contrat et à son issue.
Le parcours Pareto avait été lancé en 2018 pour changer les postures entre dirigeants de PME et acheteurs de grands comptes. Quel bilan pouvez-vous en tirer aujourd’hui ?
C. P. : Ce parcours a toute sa place C’est un chemin pédagogique qui vise à transformer sa vision et donc ses actions en profondeur. Les prises de conscience qui émanent par exemple des sessions de Vis ma vie entre acheteurs et fournisseurs (première étape du Parcours Pareto se déroulant en deux journées, une dans la petite entreprise et la seconde dans la grande organisation) se transforment en actes et nombreux sont les exemples au sein de notre communauté de mise en place de nouveau process, de l’adoption de nouvelles postures au quotidien.
Le Lab Pareto promeut l’idée que les compétences clés qui composent notre parcours (l’écoute active, l’empathie, la négociation basée sur les intérêts, l’intelligence collective) devraient inspirer le champ de la formation initiale et continue, tant chez les acheteurs que chez les dirigeants.
Dès l’école, réinventons la façon de manager les échanges commerciaux en recentrant l’économie au service de l’homme.