Dans mon précédent article, j’ai chanté les louanges de la patience dans une stratégie du conflit. En effet, le conflit ne se résume pas à l’engagement, au face-à-face. C’est pourquoi une stratégie est possible, qui comprend l’attente, l’observation, quelque chose d’autre que l’action : le non agir dirait les orientaux.
Entre les Occidentaux et la Chine, la différence d’appréciation des conflits se situe là : pour les uns, pour user d’une métaphore, ce serait la chasse dans laquelle le chasseur va à sa cible et la met à terre ; pour les autres, ce serait plutôt la culture quand le paysan attend que les plantes poussent. Attendre, qui nécessite en effet de la patience, n’est pas ne rien faire. Il faut sarcler, biner, arroser, en résumé prendre soin de ses cultures. Mais ce n’est certainement pas et en tirant sur les pousses de poireaux qu’on les fait pousser plus vite. Et, cependant, il y a bien un moment où il faut récolter, cueillir, engranger les fruits du travail en cours. Du point de vue de l’effort, ce n’est rien. Un peu d’effort physique, certes, mais aucun enjeu. Tout se joue avant. C’est ainsi que les stratèges chinois envisagent d’ailleurs la guerre : le combat doit être une formalité.
Aucun enjeu, disais-je, sauf celui de ne pas laisser pourrir les fruits sur l’arbre. Et c’est là qu’il faut faire preuve d’impatience, se mettre à l’ouvrage toute affaire cessante. C’est sans doute cette capacité à saisir le bon moment qui distingue la calme et patiente attente de l’abandon. L’attente du pêcheur, que j’évoquais dans mon précédent article, nécessite de garder un œil sur le bouchon et de relever la ligne quand il le faut.
Une personne de ma connaissance me témoigne récemment qu’elle fait preuve depuis « trop longtemps » de patience ; que maintenant sa patience est à bout ; que la situation pourrit ; qu’elle en souffre.
Une foi inébranlable
Mais venue l’envie de parler avec elle des changements qu’elle a observé pendant tout ce temps, des mouvements de la situation : est-ce que les portes se sont ouvertes ou fermées ? Est-ce que son point de vue a changé ? Est-ce que le comportement de la partie adverse a évolué dans le temps ?
Faute d’être en situation de répondre à ses questions, même très imparfaitement, il n’est pas de stratégie possible.
Je me souviens d’avoir lu, voici fort longtemps, un épisode des Marvel où le super héros — dont j’ai oublié le nom — tombait d’une falaise. Son talent, et même son super talent, le rendait capable de ralentir sa chute en attrapant branchages et brins d’herbes qui poussaient le long de la falaise, pour finalement arriver sain et sauf en bas. Image extrême qui illustre une forme de comportement possible dans les situations de conflit : tirer parti de chaque élément de la situation, même futile, même minuscule, avec, chevillé au corps, la foi inébranlable dans le fait que nous atterrirons en douceur et n’aurons pas à souffrir de la situation. Rester attentif en permanence à l’évolution de la situation et, quand passe la branche qui nous sauvera, la saisir sans délai.
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