Dans les séminaires et ouvrages dédiés à la gestion du temps, on évoque souvent la loi de Parkinson. Mais connaît-on réellement la portée de cette loi ?
Quand votre gagne-pain consiste à écrire des articles dans un temps qui vous est imposé, grande est la tentation de s’y prendre à plusieurs fois, d’étaler leur rédaction jusqu’à la fameuse « deadline », de commencer, s’arrêter, puis y revenir… Et s’activer au dernier moment pour rendre sa copie. C’est ce qui se passe aussi très souvent dans la gestion de dossiers ou de projets, souvent bouclés dans l’urgence alors que nous disposions de temps pour y parvenir plus sereinement. Plutôt que de s’y mettre « une bonne fois pour toutes », nous nous laissons porter par notre penchant à procrastiner. Nous travaillons comme si nous nagions le papillon, tantôt la tête sous l’eau, tantôt hors de l’eau. Tantôt la tête dans sa tâche, tantôt ailleurs, comme pour reprendre sa respiration.
Nous papillonnons, ce qui nuit à notre productivité, mais aussi empêche le flow, cet état mental que nous éprouvons lorsque nous sommes pleinement plongés dans une activité, quand la concentration est à son paroxysme. Vous ressentez le flow par exemple quand vous êtes satisfait d’avoir réalisé une tâche et de la manière dont vous l’avez réalisée. Le flow, c’est quand vous vous dites, le sourire aux lèvres « J’ai bien bossé, je suis content ». C’est de ce sentiment d’accomplissement dont nous nous privons en divisant, en séquençant une tâche qui pourrait être réalisée en une seule fois. Au bout du compte, le job est fait. Mais peut-être aurions-nous pu nous y prendre autrement, le réaliser plus vite, sans stress.
Ce phénomène se rencontre dans de nombreux contextes de travail. Vous l’avez remarqué chez vos collègues ou chez vos enfants lors de l’apprentissage d’une leçon et l’échéance d’une interrogation. Celui-ci a été mis en évidence dans les années 1950 par l’historien et essayiste britannique Cyril Northcote Parkinson qui le formule ainsi : « Le travail s’étend de manière à remplir le temps disponible pour son achèvement. » Quand nous disposons d’un laps de temps déterminé pour accomplir une tâche, nous avons tendance à investir pleinement le temps qui nous est imparti. Si nous avons trois jours pour réaliser une tâche qui ne demande que deux heures, nous utiliserons la totalité des trois jours pour cette tâche.
Comme l’univers, le travail est en expansion ; il se dilate
La loi de Parkinson explique nos difficultés à organiser notre temps de travail. À un autre niveau — celui que Parkinson étudiait —, elle rend compte du fort développement des appareils bureaucratiques lors des dernières décennies. Dans les années 1950, Parkinson s’est en effet intéressé au fonctionnement de la bureaucratie. Il en tire plusieurs enseignements.
Le travail, comme un gaz, est extensible. Il peut être réalisé par une seule personne, mais peut « s’étaler » sur toute une équipe. Un bureaucrate a tendance à « étaler », à répartir le travail sur ses subordonnés. De nouveaux besoins apparaissent alors pour coordonner tout le monde. Cela nécessite le recrutement de nouveaux subordonnés, ce qui suppose toujours plus de coordination, donc de personnel supplémentaire, etc.. « Les bureaucrates se créent mutuellement du travail », avance Parkinson. Comme l’univers, le travail est en expansion ; il se dilate. C’est ce qu’a très bien expliqué David Graeber dans son ouvrage Bullshit Jobs. C’est ainsi que des organisations dont on soustrait des attributions continuent pourtant à augmenter leurs effectifs.
Moins de travail, mais plus de personnes pour les réaliser…
Crédit Photo : Ken Tomita – Pexels