Être entrepreneur ou dirigeant, c’est se confronter à toutes sortes de situations qui nous procurent de la joie ou de l’inquiétude, de l’excitation ou de l’abattement. C’est bien souvent vivre à 100 à l’heure, au point que nous ne regardons plus le paysage qui défile derrière les vitres de notre bulle.
Certains d’entre nous, sans aucun doute, en sont conscients. Ils pratiquent la méditation de pleine conscience, font du sport, voire même — n’ayons pas peur de le dire — s’inscrivent à des stages de développement personnel ! Le but étant de vivre, ne serait-ce qu’un moment, dans « l’ici et maintenant », de se « reconnecter » au monde.
Sans négliger la vertu de ces initiatives, convenons qu’elles demandent du temps, de la discipline et que, bien fréquemment, il y faut une constance bien difficile à acquérir pour que les effets soient pérennes.
À la place de cela, ou en plus de cela, il est une pensée à portée de main que nous pouvons emmener toujours avec nous et utiliser quand bon nous semble, à savoir que le monde est ce qu’il est.
Non seulement cette pensée, sans être tout à fait du renoncement, peut nous amener à moins d’énergie gaspillée en vaines indignations ou colères, par exemple contre la pluie, contre la paresse des uns ou la mauvaise humeur des autres, contre les incivilités, contre la baisse de la culture générale ou les impôts…
Mais, surtout, au bout de cette pensée d’acceptation du monde tel qu’il est, il y a cette idée à la fois banale et désagréable que nous allons mourir.
Certes, je me garderai bien de vous inviter à penser à la mort dès le petit déjeuner, bien que d’autres avant moi l’aient fait et depuis longtemps. Par exemple Épictète avec son « Memento mori », « Souviens-toi que tu vas mourir ». Ce que j’ai à vous dire ici rejoint d’ailleurs en partie son propos, même si je conviens que des pensées morbides n’aident guère à vivre.
Spinoza, d’ailleurs, exprimait cette réserve : « Un homme libre ne pense à aucune chose, moins qu’à la mort, et la sagesse est une méditation non de la mort, mais de la vie. »
Disons donc, entre les deux, qu’il ne faut pas penser à la mort, mais, parfois, « caresser l’idée de la mort ».
Nous ne faisons que passer
Comme lorsque nous sommes en vacances dans un endroit merveilleux où nous passons des moments formidables. Nous savons que cela va se terminer, mais nous n’y songeons guère tant que le terme ne s’approche pas. C’est seulement au moment où il faudra faire ses valises et remplir les formalités de départ que l’idée de quitter la place se fait plus précise.
Malheureusement, bien souvent, nous gâchons le processus : car enfin, avoir en arrière-pensée l’idée que nous n’avons que ces quelques jours, devrait nous aider à profiter du moment. Mais non : non seulement nous songeons au départ, mais aussi à la prochaine fois où nous visiterons cet endroit, quelque improbable soit notre retour. Cela nous empêche de profiter pleinement du moment et facilite sans doute le regard critique sur ce que nous vivons : puisque nous allons revenir, autant améliorer les choses !
Cela me fait songer à la fin d’une formation assez longue ou, au moment des adieux, certains manifestaient l’envie de ne pas se quitter ou de s’organiser pour se retrouver, qu’une des personnes nous dit : « Je ne me dis jamais que je vais revoir les gens ; cela donne plus d’intensité à mes rencontres. »
Revenons à votre vie d’entrepreneur ou de dirigeant. Songez tout simplement, non pas qu’un jour vous ne serez plus là — c’est déprimant ! —, mais simplement que, un jour, tout cela n’aura plus d’importance pour vous est qu’il est temps, aujourd’hui, de vous réjouir de vos accomplissements : Bravo pour tout ce que vous avez fait !
Je confie mot de la fin (de ce texte !) au poète persan Omar Khayyâm (v. 1048 – v. 1131), célèbres pour ses quatrains, dont vous pouvez entendre certains ici ou là), et dont je vous propose de retenir spécialement le « vis heureux » :
Dans cet espace si précieux, entre deux souffles, vis heureux
La vie s’en va, la mort s’en vient, notre passage n’est qu’un souffle.