Suite de notre entretien portant sur l’empathie avec Isabelle Vandenbussche-Masclet qui vient de signer un ouvrage essentiel sur le sujet.
On assiste actuellement à une mode managériale autour de la bienveillance. Quelle différence entre bienveillance et empathie ?
Isabelle Vandenbussche-Masclet : L’empathie n’est pas la bienveillance. La bienveillance est une valeur morale. Or le monde de l’entreprise sous-tend une organisation humaine dont l’enjeu est économique. L’empathie est un phénomène organique et psychique qui recouvre un champ autrement plus large et plus complexe. C’est grâce à la puissance de son intelligence que l’homme a su s’adapter au monde dans lequel il vit. L’empathie est le matériau énergétique de l’intelligence. Les 2/3 de notre cerveau fonctionnent et se développent par l’énergie du lien à l’autre. Une énergie qui nourrit le limbique et augmente les capacités du néocortex. En somme, l’empathie est le carburant du cerveau. L’étymologie du terme bienveillance (vouloir le bien d’autrui) met en évidence le côté subversif de son utilisation en management. Elle inscrit la relation dans une dynamique verticale du haut vers le bas (disposition favorable d’un supérieur envers un inférieur). A mon sens, la bienveillance entretient une dynamique managériale de type paternaliste qui n’est plus d’actualité en ce début de troisième millénaire.
En quoi l’empathie trouve-t-elle aujourd’hui une actualité, notamment dans le monde des organisations ? A quels défis celle-ci est-elle capable de répondre selon vous ?
I. V.-M. : A l’ère numérique, les organisations subissent non plus une transformation, mais une mutation. La verticalité des systèmes pyramidaux laisse place à l’horizontalité du mode projet. Les organisations milléniales sont plates à l’image des startups. D’ailleurs, dès le début des années 2000, le visionnaire Elon Musk a construit SpaceX sur ce modèle ; les ingénieurs et les informaticiens issus des meilleures universités travaillent avec les mécaniciens et les soudeurs. On élabore et on construit ensemble ! L’enjeu n’est pas de libérer l’entreprise, mais plutôt de la rendre agile en gagnant en fluidité dans les échanges. L’entreprise est entrée dans l’ère du CO et la qualité du lien entre les personnes, entre un Je et un Tu, est au cœur de ce défi. Ces nouveaux modèles interrogent les relations interpersonnelles. L’intelligence artificielle gagne du terrain sur les hard skills (compétences techniques) au profit des soft skills (aptitudes relationnelles). Hier, le savoir-être traduisait une bonne posture dans une organisation stable. A présent, les soft skills désignent les compétences nécessaires pour tenir sa place dans une organisation en mouvement. L’empathie devient la clef pour s’adapter à un monde dont le mouvement de transformation s’accélère. Le manager empathique est un leader. Il motive ses équipes par la chaleur qu’il dégage. Il sait aussi les accompagner pour qu’elles grandissent et s’adaptent. Le troisième millénaire ouvre l’ère du manager coach.
Est-ce que l’empathie est quelque chose d’inné ? Peut-on la développer ? Et si oui, comment ?
I. V.-M. : Nous ne disposons pas tous des mêmes aptitudes empathiques. Toutefois, comprendre comment circule cette énergie hybride est une première étape pour ensuite la développer. Dans l’ouvrage que je viens de publier, 7 profils empathiques (open-bar, cocote minute, artiste, descartiste, tour de Pise, passerelle et coach) éclairés d’exemples et de témoignages permettent à chacun de se situer. Puis une méthode en trois temps (déclencher l’effet miroir pour mieux se connaître, sortir de la roue du hamster pour se réapproprier le temps, communiquer autrement ou l’art du tricot) assortie d’outils pratiques va développer l’énergie du lien pour fluidifier les échanges. L’empathie abrite notre créativité. Sathya Nadella, CEO de Microsoft, rappelait récemment que l’empathie est au cœur de toute innovation. Elle nous aidera surtout à survivre dans un monde en pleine mutation.
Certains ont moins d’effort à fournir que d’autres pour cultiver ce carburant formidable. C’est vrai ! Mais on peut développer l’empathie par des comportements très simples : un regard, un sourire, la porte que l’on retient pour l’autre,
Si l’énergie empathique positive circule en tissant lien du vivant et lien de connaissance, nous gagnerons en efficacité, sans perdre de boulons en route (en limitant les burn-out et autre bore-out). Nous sommes tous différents. Certains ont moins d’effort à fournir que d’autres pour cultiver ce carburant formidable. C’est vrai ! Mais on peut développer l’empathie par des comportements très simples : un regard, un sourire, la porte que l’on retient pour l’autre, un silence pour accueillir ses mots autour d’un café ou d’un repas. Le lien de chaleur s’établit entre deux regards qui se croisent, un sourire échangé, une oreille attentive. Et par la dynamique du cercle vertueux, l’autre développe à son tour un lien empathique. Et c’est ainsi que l’effet de reliance, comme l’a défini le sociologue humaniste Edgar Morin, préservera, demain, non seulement l’entreprise, mais aussi l’humanité.