Dans un article dans l’Usine nouvelle*, l’intelligence des salariés est le principal obstacle à la coopération, mais elle peut aussi être le facteur clé de succès », le sociologue François Dupuy combien la coopération, bien que connotée positivement, n’est pas une chose facile à atteindre.
François Dupuy nous a déjà régalé avec ses deux opus, Lost in management et La faillite de la pensée managériale où il soulignait l’échec de coercition dans les entreprises et d’un management technocratique (voir le résumé que j’en avais fait ici). Dans l’article précité, il souligne combien la coopération, qui « a l’air » d’être voulue par l’ensemble des parties prenantes n’est pas toujours au rendez-vous du réel. En effet, coopérer signifie presque toujours abandonner une partie de sa liberté et se rendre dépendant du collectif. Dans les discours, tout le monde est donc d’accord ; en pratique, personne ne fait les efforts nécessaires à commencer, nous dit l’auteur dans son style vigoureux, par les dirigeants qui se focalisent sur les aspects financiers et abandonnent aux ressources humaines la gestion des hommes, ce que ces derniers peuvent expédier par une abondance de processus et de contraintes de reporting.
Ceci fait écho à mes propres marottes. En effet, François Dupuy illustre son propos par un exemple domestique : « je veux, dit-il, regarder le foot, mon épouse un film ». Ceci correspond, à peu de chose près, à ma propre définition du conflit pour illustrer notamment la différence entre ce dernier et la violence. Si ma propre épouse veut aller au théâtre et moi au cinéma, nous n’allons pas forcément finir en nous jetant la vaisselle à la figure, mais plutôt – j’en ai fait l’expérience concrète ! – trouver des arrangements comme, par exemple : aujourd’hui théâtre, la semaine prochaine cinéma. C’est cela que François Dupuy appelle coopération et moi « ajustement des besoins ». Il y a, nous en sommes d’accord, un vrai bénéfice à la clé. Non seulement un bénéfice pratique, du fait de la plus grande efficacité mais aussi, je veux le croire de mon côté, un bénéfice personnel et un enrichissement mutuel.
Au fond, la coopération qui consiste à supprimer les silos impose de gérer des équilibres jusqu’alors figés, justement par les silos. Ce qu’on appelle dans ma pratique : réguler. La régulation, à son tour, impose à chacun de se dévoiler, de mettre ses besoins, ses enjeux mais aussi ses faiblesses sur la table pour trouver ce fameux ajustement mutuel. Je fais le pari que, en général, ce dévoilement réciproque crée une vraie rencontre entre les personnes et que ces rencontres sont tout simplement une source de joie dans la communauté de l’entreprise. Cette joie de la rencontre facilite ensuite, par une sorte de cercle vertueux, la possibilité d’ajustements ultérieurs puisque, c’est une évidence, la coopération est un édifice toujours à construire et à entretenir.
Entendons-nous bien, cependant : la joie de la rencontre ne signifie pas nécessairement tomber dans les bras les uns des autres ; ni même s’aimer ou se trouver magnifiques. Il y a rencontre possible même entre gens qui se détestent ou, plus simplement, sont en compétition, parfois féroce. Charles Rojzman qui, j’en ai souvent parlé, travaille à faire se parler des gens qui ne veulent plus le faire, cite cette parole magnifique d’un membre d’un groupe d’israéliens et de palestiniens, à l’issue d’un travail de thérapie sociale : « vous êtes toujours mes ennemis, mais vous n’êtes plus des monstres ». C’est cela aussi que j’appelle la rencontre, même si le climat est difficile – et on peut espérer être très en deçà dans les entreprises – à savoir donner chacun à voir à l’autre un morceau de son humanité. C’est ainsi que la coopération, au delà même des enjeux de productivité et d’efficacité, est aussi un enjeu de société.
* L’article est disponible ici.
Laurent Quivogne – http://www.lqc.fr/