Ça a été sans doute un des compliments que j’ai trouvé le plus gratifiant quand on me l’a fait. Mais plus maintenant. Maintenant, je me méfie du mouvement qu’il provoque en moi. Explications.
« Tu sais, Laurent, je trouve que tu es une belle personne. » Je crois me souvenir du frisson de plaisir qui m’a parcouru, ce jour-là, la première fois que je ai entendu cette phrase délicieuse, qui fut aussi la première que j’entendais l’expression « belle personne ». Finalement, au-delà de mes doutes, de mes insuccès, ai-je confusément pensé, j’avais réussi ma propre construction. Car une belle personne, ça ressemble à une œuvre d’art, c’est le fruit de la patience, du travail et d’une certaine maîtrise du modelage de soi.
Dans cette pensée, il y a une certaine idée d’achèvement, l’idée d’être en quelque sorte un chef d’œuvre, c’est-à-dire une œuvre terminée propre à être exposée dans un musée ou sur une place publique.
Il me semble aujourd’hui que ce qu’on peut apprécier à l’occasion d’une telle louange, ce n’est pas tant le compliment que ce qu’il dit de notre relation avec la personne qui le dit. Et, cela, nous pouvons nous en réjouir ensemble. Mais il est très difficile de s’en tenir là. Plus facile, au contraire, de se laisser profiter de cette caresse narcissisante, qui fait à notre âme ce qu’une guimauve au chocolat ferait à notre palais.
Cultiver la fluidité de son être
Une fois cependant que j’ai gobé le compliment, je deviens, dans la représentation que j’ai de moi, une belle personne, ce qui présente à coup sûr plusieurs inconvénients.
D’abord, comme je l’ai esquissé ci-dessus, je deviens quelque chose d’achevé, qui ne peut plus guère être amélioré au risque, au contraire, de déchoir et d’abîmer cette si belle image. Je suis tel une pièce de musée qui va bientôt prendre la poussière et appartenir à un autre temps, quand je voudrais, moi, continuer à être de mon temps et adapté au présent. Je me fige, de peur de ne plus être la belle personne que j’étais si fier d’être et, ironie du sort, je cesse en effet bientôt de l’être, incapable d’évoluer.
Ensuite, cela signifie que je m’assigne à résidence des qualités qui ont justifié que je puisse être une belle personne. Être gentil ou empathique, c’est très beau, mais ça ne me permet pas d’être ajusté à toutes les situations, car, parfois, l’existence exige de nous que nous ne soyons ni gentils ni empathiques. Si je ne sais pas faire autrement ou si je refuse de faire autrement, alors je serai dans la vie comme un nageur à qui on a lié un bras ou une jambe. Là encore, les inévitables déconvenues vont nourrir en moi le ressentiment et, bientôt, gentillesse et empathie deviendront plus difficiles à manifester : finie la belle personne !
Alors qu’il me semble que cultiver la fluidité de son être, sa propre capacité à s’ajuster aux situations que nous fait rencontrer notre destin, est un mouvement plus sain et plus joyeux. Et puis quoi ? Être une belle personne aux yeux de qui ? Selon quels critères ? Ne laissons pas notre présence sur terre devenir un processus qualité !
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