Masque ou pas masque ? Chloroquine ou pas chloroquine ? Une crise bien gérée ou pas ? Les débats qui enflamment l’opinion ont souvent des allures de blanc ou noir. Et si c’était précisément cette polarisation du débat qui créait la radicalisation des opinions plutôt que le fond sur lequel il porte ?
Dans son ouvrage, « Vous allez redécouvrir le management ! », Olivier Sibony consacre un chapitre à ce thème et cite un passage de Roméo et Juliette où un ami de Roméo, Benvolio, lui conseille de ne plus cantonner ses regards à l’inaccessible Rosaline afin, précisément, d’élargir le champ des possibles et de faire que la belle Rosaline ne soit plus l’unique référence, qu’elle puisse être comparée à d’autres qui ont d’autres qualités.
Le conseil vaut pour toute entreprise et pour toute décision. Il s’agit bien de dépolariser le questionnement et de sortir du « Rosaline ou pas Rosaline ».
Dans un monde bipolaire, agir de façon non bipolaire
Olivier Sibony rapporte ainsi comment Kennedy, à l’époque de la crise des missiles soviétiques à Cuba, sut sortir de la polarité : envahir Cuba ou ne pas envahir Cuba, en faisant imaginer à ses troupes d’autres options. C’est ainsi qu’ont émergé d’autres possibilités que l’envahissement ou non de Cuba : des frappes localisées, des tractations diplomatiques et le blocus naval qui fut finalement mis en œuvre. Il a peut-être ainsi évité un conflit d’une ampleur autrement plus dévastatrice que ce que nous avons vécu. Autrement dit, dans un monde bipolaire, il faut agir de façon non bipolaire.
Une autre façon d’illustrer les méfaits de la polarisation, qui est aussi une forme de focalisation sur une dimension de la situation, est de rappeler l’histoire tragique rapportée par Christian Morel dans « Les décisions absurdes » : le crash d’un avion dans la région de Chicago. Au moment d’atterrir, l’équipage constate que le train d’atterrissage ne sort pas. Plus exactement, qu’un voyant dans le cockpit indique que le train n’est pas sorti. Est-ce réellement le cas ou est-ce le voyant ou le capteur qui sont défectueux. Tout l’équipage se mobiliser pour résoudre cette épineuse question et, en attendant, l’avion fait des ronds dans le ciel. Pendant ce temps, le niveau de carburant baisse sans que personne ne songe à s’en préoccuper. Finalement, cette folie les conduira jusqu’à la panne sèche et au dramatique crash qui devait s’ensuivre.
Une question importante mobilise nos ressources, réduit notre regard et, surtout, réduit l’univers à la réponse à cette question. S’ensuit un surinvestissement sur cette question, comme si elle était la grande et unique question qui compte à ce moment-là (celle dont la réponse est 42, diront les geeks) et donc un surinvestissement également sur le plan émotionnel. Si je suis face à la plus grande question de ma vie, il est logique que je m’émeuve, que je me mobilise, voire que je me mette en situation de combat.
« Entre deux choix, il faut imaginer le troisième »
« Prendre du recul », ce n’est rien d’autre que cela. Et il est amusant de constater combien nous pouvons être d’accord avec la nécessité de cette distance quand nous en parlons tranquillement et combien nous pouvons oublier ce précepte dans le feu de l’action ou de la discussion. C’est cependant le moyen d’éviter les catastrophes et de réduire la tension.
Olivier Sibony conclut son chapitre en disant : « entre deux choix, il faut imaginer le troisième ». Peut-être pas parce que le troisième choix est le bon choix ; simplement parce qu’il vous fait voir les deux premiers différemment.