« L’Enfer est pavé de bonnes intentions », dit l’adage. Des mesures a priori justes et/ou efficaces sont dévoyées et se retournent contre ceux qui les ont engagés. On parle alors d’effet pervers. Mais connaissez-vous son petit frère, « l’effet cobra », dont on parle de plus en plus à l’occasion de la crise climatique que nous vivons.
Le 25 novembre dernier, dans sa revue de presse internationale sur France Culture, Adrien Toffolet nous apprend que l’Etat néo-zélandais a lancé un vaste « Predator Free Program » visant à éradiquer le nombre croissant de nuisibles dans le pays. Sur l’île Stewart, un sanctuaire pour la nature situé dans la mer de Tasman à 27 km au sud de l’île du Sud mais infesté de rats, ce programme a pris la forme d’un grand concours qui a mobilisé les écoles de ce petit bout de terre peuplé de quelques 400 âmes. Le but consistait à attraper le plus de rats possible, mais aussi le plus grand, le plus gros, celui qui a le plus beau pelage… Bien entendu, le but n’était pas de les capturer vivants, mais bien de les tuer. Et les enfants se sont montrés plutôt efficaces, puisque plus de 600 rats ont été éliminés.
Quand un territoire se trouve confronté à ce type de fléau, il importe de se montrer particulièrement prudent dans le choix des solutions envisagées pour éviter de tomber dans certains écueils. Car il arrive que parfois, les tentatives de solution aggravent le problème au lieu de l’éradiquer. On parle alors d’« effet cobra ».
L’argent facile
En Inde pendant la domination coloniale britannique, la ville de Delhi fut confrontée à une prolifération de cobras. Les Britanniques décidèrent de prendre les choses en mains et d’octroyer une récompense à chaque cobra mort. Cette stratégie fonctionna. Trop bien même. Rapidement, les Indiens attirés par l’argent facile élevèrent des cobras qu’ils tuèrent pour les remettre aux autorités et encaisser la prime. Les Britanniques se rendirent compte du subterfuge et mirent fin à ce dispositif. Les Indiens relâchèrent alors les cobras en captivité dans la nature. Résultat : plus de cobras[1] après qu’avant.
Dans ce cas, l’autorité britannique a mal évalué la stratégie des acteurs, motivés par l’appât du gain. C’est une erreur de prédiction : les acteurs n’ont pas réagi comme prévu. Un épisode semblable s’est produit il y a quelques années plus près de nous. En Espagne, pour encourager la production d’énergie solaire, les pouvoirs publics ont massivement subventionné des fermes solaires. Plus de 6 milliards d’euros en 2009… Or, le ministère s’est rendu compte que ces fermes produisaient de l’énergie pleine nuit ou pendant les périodes les plus nuageuses et pluvieuses de l’automne et de l’hiver. Étrange… Le pot aux roses fut vite découvert : les propriétaires de ces exploitations photovoltaïques boostaient leur production d’électricité à l’aide de groupes électrogènes. Une mesure écologique est ici dévoyée et empire le problème qu’elle était censée résoudre, à savoir la dépendance à l’énergie fossile.
Ignorance de l’effet système
Outre l’erreur de prédiction – ou pour le dire autrement, la naïveté des pouvoirs publics —, une autre cause de l’effet cobra peut être trouvée dans l’absence de prise en compte des aspects systémiques du problème. C’est ce qui s’est passé en Chine lors du Grand Bond en avant de 1958 à 1962. Les conséquences furent dramatiques. Les nuisibles que l’on cherchait alors à éradiquer étaient les moineaux. Leur quasi-disparition entraîna la prolifération d’insectes qui détruisirent de nombreuses récoltes, causant une grande famine et plusieurs millions de morts.
Et dans l’entreprise ?
Fixer des objectifs peut s’avérer périlleux. Pour accroitre la productivité des salariés d’un SAV et répondre aux réclamations des clients, vous octroyez une prime à celles et ceux qui prennent le plus d’appels. Vous incitez ainsi les salariés à prendre le plus d’appels. Or ils peuvent pour cela devenir expéditifs, ou/et envoyer balader le client… qui sera encore plus insatisfait, appellera le SAV, etc. Ou encore pour augmenter les ventes, une entreprise peut instaurer des primes individuelles qui amènent les commerciaux à entrer en concurrence et à se nuire entre eux. Ce qui entraîne une baisse des ventes.
Un moyen d’éviter ce genre de mesures : le collectif et l’analyse à 360° du problème.
[1] L’historien Michael Vann affirme que l’exemple des cobras de l’Inde britannique ne peut pas être attesté. En revanche, un épisode similaire au Viet Nam avec des rats et le régime colonial français peut quant à lui être prouvé. En toute rigueur, on devrait donc parlé d’« effet rat » (source Wikipédia).
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