Comment saisir la manière dont les gens « fonctionnent »?

Comprendre une situation en l’expliquant uniquement par la personnalité des personnes impliquées s’avère, à bien des égards, limitant. L’accès à d’autres modèles s’avère rapidement indispensable pour aiguiser son regard et agir au mieux.

Je ne cesse pas d’être surpris par l’attrait sans cesse renouvelé des dirigeants pour des formations qui les aiderait à mieux se connaître et connaître leur entourage personnel et professionnel. Ces formations reposent essentiellement sur une grille de lecture catégorisant différents types de personnalité dans lesquels nous nous reconnaissons ou reconnaissons nos proches. Via un test, on s’autoévalue ; une catégorie nous est attribuée (un numéro ou une couleur souvent), renvoyant à un type de personnalité marqué. On peut demander à son entourage de faire à son tour le test, ou pour aller plus vite on les classe arbitrairement au pifomètre dans une catégorie en se basant sur ce que leur comportement passé nous a appris d’eux.

On devine aisément l’attrait de telles démarches. Ces dernières permettent à des dirigeants qui n’ont pas tous un doctorat en psychologie de s’outiller à bon compte. Ceux-ci bénéficient de trucs pour interagir efficacement avec autrui. Efficacement, c’est-à-dire communiquer un message sans trop de casse, en espérant être entendu et pas seulement écouté. En cela, ces méthodes — qui puisent dans différents corpus théoriques plus ou moins sérieux — sont utiles. Elles fournissent un premier cadre dans lequel le dirigeant peut travailler sa relation à l’autre. C’est peu, mais déjà beaucoup.

Cependant, nous pouvons identifier deux limites à ce type de démarches.

La première pose deux questions fondamentales. « Qui sommes-nous ? » et « Qui sont les autres ? » La première est piégeuse, car si nous croyons nous connaître, il n’en est rien. Nous sommes chacun les moins qualifiés pour nous définir. Quant aux autres, quand j’essaie de les cerner, je ne peux brosser que leur profil (ce qu’ils donnent à voir, leur comportement), mais en aucun cas leur personnalité (trait de caractère, motivation…). Je peux deviner des traits de caractère de mon interlocuteur, mais en aucun cas en être absolument sûr. Le comportement humain n’est pas régi par des lois immuables, même s’il reste possible de repérer des tendances, des inclinaisons, des dispositions chez chacun d’entre nous.

La seconde raison réside dans le fait que nos comportements individuels dépendent du contexte dans lequel ils s’inscrivent. Dans des situations complexes, il importe donc de comprendre les logiques d’acteurs à l’œuvre, c’est-à-dire les objectifs et intérêts propres à chaque acteur du système considéré. Comme la définit le sociologue Michel Crozier dans son ouvrage L’acteur et le système, « la logique d’acteur est une approche qui permet de comprendre comment les acteurs sociaux agissent en fonction de leurs intérêts et de leurs perceptions, dans des situations où les règles et les normes sont floues ou en conflit. » Il ne faut donc jamais oublier que chaque acteur a une bonne raison d’agir comme il fait (même si parfois, il en est inconscient) ; sa rationalité est limitée à l’objectif qu’il poursuit. Et cet objectif n’est pas statique ; il se transforme.

Complexité

Juger à l’emporte-pièce de quelqu’un à l’aune de son prétendu profil peut éluder la force de la finalité poursuivie. S’attacher patiemment à comprendre le contexte, en prenant en compte la diversité des objectifs des acteurs (ce qu’ils estiment avoir à gagner ou à perdre), s’avère plus pertinent quand il s’agit de comprendre une situation donnée que de prédire des comportements en se fondant sur ceux du passé. « La logique d’acteur nous invite à considérer les individus et les groupes comme des acteurs conscients et actifs, qui cherchent à maximiser leur utilité dans des contextes sociaux complexes », résume Michel Crozier dans Le phénomène bureaucratique, un autre ouvrage important.

Les grilles d’analyses qui nous enferment dans des petites cases montrent vite leur limite. Difficile en effet d’enserrer l’humain dans des cellules rigides. Le dirigeant doit rapidement prendre conscience des limites de ce cadre pour saisir la réalité dans sa complexité pour le faire évoluer et l’élargir afin de mieux prendre en compte la diversité des situations que nous vivons.

Crédit Photo : Andrea Piacquadio – Pexels

Partager cet article