Plutôt que d’ajouter aux innombrables commentaires sur le conflit ukrainien — qui se sera d’ailleurs transformé avant que cet article ne paraisse — je propose ici de m’adonner à l’exercice salutaire suivant : avant de lancer des anathèmes, efforçons-nous de corriger en nous les défauts constatés chez autrui.
Nombreux sont les observateurs de ce côté-ci du monde à qualifier le président russe d’agresseur. Sans intention aucune de ma part de vouloir le justifier, écoutons ce qu’il en dit. Il invoque d’abord une humiliation subie, le démantèlement de l’ex-Union soviétique. Dès lors qu’il est dans la perspective d’un Occident qui lui fait la violence de l’humiliation, cela légitime, à ses yeux, des réactions qui nous semblent, de notre point de vue et c’est le moins que l’on puisse dire, disproportionnées.
Rappelons au passage, en invoquant les travaux de Charles Rojzmann, que nous avons quatre besoins psychologiques fondamentaux : le besoin d’amour et de lien, le besoin de justice (que Rojzmann appelle la sécurité psychique), le besoin de reconnaissance et le besoin de sécurité.
Chaque besoin ouvre une possibilité de violence qui peut nous être faite, tout comme nos besoins physiologiques ouvrent la possibilité de nous maltraiter en nous affamant, en nous assoiffant, en nous empêchant de dormir, etc.
L’amour et le lien se payent de la peur du rejet, tout comme la sécurité et la justice se payent des peurs de la maltraitance et de l’accusation à tort. La reconnaissance, quant à elle, ouvre la porte à la peur du jugement et une modalité de violence qui peut nous être faite à cet endroit est l’humiliation.
Or, si nous regardons notre actualité récente, le sentiment d’humiliation est vécu de façon massive de ce côté-ci de l’ex-rideau de fer. L’humiliation sociale, qui s’est exprimée notamment pendant la crise des gilets jaunes, l’humiliation identitaire à l’extrême droite avec un sentiment de valeurs bafouées, l’humiliation au travail ou à la maison où les « pervers narcissiques », à en croire une certaine presse, pullulent.
L’humiliation appelle l’indignation et la colère.
Stéphane Hessel, dans son court essai Indignez-vous avait même fait de l’indignation une vertu et le ferment de la résistance.
Je peux avoir le sentiment que Vladimir Poutine est dans cette perspective, que ce soit de façon feinte ou sincère — d’ailleurs, cela ne fait pas vraiment de différence. Il s’indigne de l’humiliation subie par la Russie depuis des années, à cause d’un Occident donneur de leçons, impérialiste, et j’en passe.
De cette humiliation découle une sorte d’indignation et de colère qu’il exprime clairement et qu’il manifeste maintenant par des actes. Ne suis-je pas enclin, parfois, à faire de même ?
A quel titre, comment… La plupart du temps, mes lecteurs sont familiers avec ce biais cognitif, la situation vécue n’est intense que parce qu’elle fait écho à des situations anciennes non résolues. Ce que j’appelle habiller le présent avec les oripeaux du passé. Au fond, la seule chose qui me retient de mettre en acte la colère que je peux ressentir — si je prends la peine de m’arrêter et de la reconnaître — c’est un cadre et une philosophie de vie. En l’occurrence, un principe très simple qui dit que la violence appelle la violence et qu’il est très difficile, sinon impossible, de sortir de ce cercle vicieux. Celui qui vit par l’épée périra par l’épée. Sans doute Vladimir Poutine n’a pas tout à fait la conscience qu’il vit des jours dangereux pour lui-même. Soyons-en conscients nous-mêmes dans nos propres existences.
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