L’amour et la haine sont aussi des affaires professionnelles : aimer ou non ses clients, aimer ou non son chef ou ses collaborateurs. Qu’est-ce qui fait que ces sentiments en apparence si opposés soient finalement assez proches, au point de nous donner l’espoir de chérir qui nous haïssons aujourd’hui et qui gâche nos journées ?
Qui est amateur de sagesse yiddish regardera avec intérêt la vidéo du rabbin Abraham Twerski sur l’amour du don. Il y explique d’abord une métaphore : un jeune homme pêche un poisson et le mange ; un sage lui demande pourquoi il fait ça, à quoi le jeune répond qu’il aime le poisson. Non, lui répond l’autre, tu n’aimes pas le poisson. Tu n’aimes pas un être que tu sors de l’eau, que tu tues et que tu fais cuire pour le manger. Tu t’aimes toi-même et le poisson te permet de satisfaire ton propre désir.
Aimer, c’est s’aimer soi-même
Ainsi de l’amour en général, poursuit le rabbin. Nous n’aimons souvent chez l’autre que la satisfaction qu’il peut nous apporter.
Par exemple nos clients : les aimons-nous pour ce qu’ils sont, ou pour le chiffre d’affaires qu’ils nous rapportent ?
L’orateur continue en expliquant que, finalement, ce que nous aimons chez les autres, quand nous les aimons vraiment, c’est la part de nous que nous y retrouvons. Et c’est ce qui fait l’importance du don. Donner, c’est mettre de soi dans l’autre. Manière de dire que ce que nous aimons chez les autres, c’est nous-mêmes. J’imagine que cela peut générer quelques réticences dans l’esprit des lecteurs ; surtout celui qui, d’aventure, ne s’aime pas. Comment alors, si la proposition de ce rabbin est juste, aimer les autres ?
Haïr, c’est pareillement haïr une part de nous
Mais voyons un peu plus loin, du côté de la haine. J’emprunte cette fois à l’ouvrage Ils m’ont haï sans raison, de Jacob Rogozinski. La thèse est presque semblable : ce que je hais chez l’autre, ce qui me fait même horreur, c’est la part de moi que je vois en lui. À cette différence qu’il s’agit d’une part non reconnue de moi-même, parce qu’elle est douloureuse, parce qu’elle me fait honte. Personne n’aime reconnaître qu’il est malhonnête, lâche, veule, cynique, égoïste, etc. Et pourtant, nous le sommes tous un peu ou de temps en temps. Faute de quoi nous ne pourrions survivre dans des environnements hostiles. Il faut être lâche parfois, pour ne pas se faire tuer par un occupant ; il faut être cynique pour résister ; il faut être malhonnête protéger les siens d’un gouvernement destructeur. Tout le monde en convient, mais convient moins facilement que nous pouvons aussi manifester ces vilaines qualités en d’autres circonstances. Seulement voilà, le déni amène à déclencher les forces souterraines. Tout ce qu’on met sous le tapis finit par resurgir, par exemple dans notre regard, qui nous amène à voir chez autrui ce que nous ne voulons pas voir chez nous. D’où la haine.
Ainsi haine et amour sont-ils tous les deux un sentiment vis-à-vis d’une partie de nous. Et passer de l’un à l’autre consiste essentiellement à changer notre regard… sur nous-mêmes !
Dans le monde professionnel
Aimer ou pas son client, aimer ou pas son boss ou sa boîte, aimer ou non ses collaborateurs, serait ainsi la mesure de ce que nous leur donnons, de ce que nous faisons pour eux. À l’inverse, négliger, ou escroquer, ou encore maltraiter une relation professionnelle, c’est rendre vivante la preuve de notre propre part d’ombre et s’exposer à haïr l’autre, sauf à reconnaître cette obscurité. Chose longue et difficile, clé pourtant de relations saines et nourrissantes.
Laurent Quivogne – http://www.lqc.fr/