Le monde va mal. Les raisons pour s’en convaincre ne manquent pas. Les médias servent de caisse de résonnance et donne à cette impression une importance disproportionnée.
Dans un précédent article, nous soulignions notre profonde attirance pour le déclinisme et la collapsologie, c’est-à-dire des idéologies qui s’attachent aux signaux négatifs de notre environnement et qui font appel aux passions tristes, ces affections qui diminuent notre « puissance d’exister » pour reprendre le vocabulaire de Spinoza. Crainte, désespoir, peur, sentiments d’impuissance et d’infériorité, haine, honte, colère, tristesse… : nous semblons étonnamment réceptifs aux messages qui provoquent ce genre d’émotions. Il est donc courant que ce « biais de négativité » soit tout naturellement exploité par les politiques, les réseaux sociaux, les médias et les marques comme un levier pour provoquer un comportement souhaité (une adhésion, un vote, un like, un click, un partage, un achat…). Les informations négatives pèsent donc lourdement dans nos prises de décision.
Eloge de la rationalité
Les candidats à l’élection présidentielle sont aujourd’hui dans les starting-blocks. Il ne vous aura pas échappé que l’énergie concentrée par chaque candidat pour dézinguer l’adversaire et pointer tout ce qui ne va pas dans le pays est incommensurablement plus importante que celle qui consiste à mettre en avant un projet de société ou des solutions pour améliorer l’existant. Ces candidats ont raison d’agir ainsi (de leur point de vue bien sûr). D’abord parce que la vision manque, tout comme la créativité pour imaginer des alternatives concrètes. Les partis sont des machines à conquérir le pouvoir et ont abandonné en rase campagne toute velléité à construire un projet de société. Ensuite et conséquemment, parce qu’il est plus efficace électoralement de dénoncer avec le plus de noirceur possible ce qui ne va pas, quitte pour cela à prendre quelques aises avec les faits et les chiffres, ou n’évoquer que ceux qui accréditent les dires du candidat[1].
Pour sortir de ce piège redoutable, que faire ? Ecouter le foret qui pousse plutôt que l’arbre qui tombe. Concrètement, cela signifie faire l’effort de développer notre attention vers les signaux positifs de notre environnement et se pencher sur les statistiques qui peuvent relativiser ou démentir le sentiment que nous avons concernant certains phénomènes anxiogènes. Bref, contrebalancer cette faiblesse innée par un peu de rationalité et de prise de hauteur. Si tu vois tout en gris, déplace l’éléphant, dit un proverbe indien. Pas toujours aisé. La lecture des ouvrages du linguiste et psychologue canadien Steven Pinker constitue un bon guide pour engager cet effort.
Le monde est meilleur aujourd’hui qu’il ne l’a jamais été. Et cela, quel que soit le critère que vous choisissez. Vous avez moins de probabilités de mourir dans une guerre ou par violences. Si vous êtes une femme ou un enfant, le viol et la maltraitance sont moins répandus. L’espérance de vie a augmenté, les maladies sont mieux soignées. Un enfant qui naît a beaucoup plus de chance de passer le cap de sa première année. Nous sommes mieux éduqués, nous avons accès à davantage de connaissances grâce à Internet. Les femmes sont plus nombreuses à faire des études. Elles ne vivent plus sous la coupe des hommes, ou nettement moins. Il y a aussi moins de chances que vous souffriez de la faim. Nous n’avons jamais eu une alimentation aussi variée. Vous avez la possibilité de voyager. Le confort matériel n’a jamais été aussi élevé. Nous n’avons jamais travaillé aussi peu d’heures[2].
Steven Pinker
A la question « auriez-vous aimé vivre à une autre époque que la nôtre ? », je vous invite à réfléchir deux fois avant de répondre.
[1] Le biais de cadrage (ou effet de cadrage comme on l’appelle en rhétorique) fera l’objet d’un article ultérieur. Pour le dire vite, il met en évidence le fait que la manière de réagir à une information dépend de la manière dont on présente cette information.
[2] Interview pour Philosophie Magazine, 29 novembre 2017.
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