Voici qui conclut 4 mois de petites leçons de cadres et dirigeants, autour des leçons de rhétorique de Victor Ferry, que je place sous l’égide de Victor Hugo et de la citation qui lui a été attribuée : « le fond, c’est la forme qui remonte à la surface ».
Je ne sais si c’est une affaire française, dont Descartes serait à l’origine, ayant donné naissance au fameux esprit cartésien, mais j’observe souvent chez mes contemporains – dont vous faites partie, chers lecteurs – une séparation entre la forme et le fond. Au fond, le sérieux, le profond (sans jeu de mots), la réflexion ; à la forme, le futile, l’artificiel, l’émotion (pour ne pas dire l’hystérie).
La rhétorique fait le pari inverse : forme et fond contribuent ensemble à la défense de causes importantes. D’ailleurs du fond privé de forme a une apparence de sécheresse indigeste, faite d’un jargon incompréhensible du profane. La forme sans fond n’est que coup de com », greenwashing et autres impostures.
Dire « je », c’est inévitablement se dévoiler
Pourtant ces deux situations ne bénéficient pas du même regard. Tandis que la deuxième est facilement honnie, la première pourrait au contraire augmenter le prestige de ce lui qui parle : « Puisque nous ne comprenons rien, ce doit être intelligent. »
Je fais l’hypothèse que ce clivage s’articule autour de la pensée cartésienne, justement, à savoir la différence entre la raison et les émotions. D’un côté la noble raison, de l’autre les suspectes émotions, si suspectes d’ailleurs qu’elles sont bien souvent expulsées à l’extérieur de l’entreprise.
Qu’il me soit permis de raconter une anecdote. Un service dont le patron a justement pour postulat que les émotions n’ont pas de place dans l’entreprise. Le tour de table à l’issue d’un travail de groupe est au diapason de sa pensée. Malgré la demande de l’animateur de dire, pour soi, ce que chacun avait appris, les participants sont restés sur leur quant-à-soi, sans rien livrer de personnel. « On n’est pas chez le psy », s’est écriée une participante. Mais ce n’est pas être au psy que de dire ce que, personnellement, j’ai appris.
Seulement voilà : dire « je », c’est inévitablement se dévoiler ; par exemple dévoiler ce que je ne savais pas auparavant. Et ça, ça ne va pas sans émotion, fussent-elles petites. C’est ainsi que le refus de l’expression d’émotions, même à un degré confinant au flegme anglais, arrive par contagion à bloquer toute expression personnelle.
Après ce moment, finalement assez stérile d’expression sans expression, voilà qu’une participante s’est émue, d’une situation qui lui semblait relever de la stigmatisation de personnes, et qu’elle n’a pas pu retenir ses larmes.
La place de l’émotion
Bien qu’elle ait eu honte de ce moment, force a été de constater qu’elle a ainsi eu une expression parmi les plus puissantes de la journée. Une de celles dont tous vont se souvenir. C’est ainsi qu’au milieu d’un mot sans relief, cette parole soi-disant inconvenante a été la plus puissante. D’où je conclus que l’émotion est source de puissance. Dans la deuxième leçon de rhétorique, j’ai déjà évoqué Antonio Damasio qui montre comment l’absence d’émotions rend impuissant, notamment pour prendre des décisions. Faisons un pas de plus donc en osant l’émotion pour défendre nos causes et nos projets.
Susciter de l’émotion est l’une des composantes de la rhétorique. Raison pour laquelle elle a peut-être été dévalorisée, eu égard aux préjugés évoqués ci-dessus. Osons donc également soigner la forme avec laquelle nous parlons de ce qui nous importe. Osons notre style, osons dévoiler le fond de notre cœur pour toucher le cœur de ceux qui nous écoutent ; cessons de nous attacher une main dans le dos au prétexte d’a priori surannés.
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