Connaissez-vous la notion de « filière inversée » ? Avec cet outil conceptuel, l’économiste John K. Galbraith met en lumière la complexité des dynamiques de marché modernes. Les consommateurs se croient libres de prendre des décisions éthiques. Mais en fait, ce sont les grandes entreprises qui commandent les désirs des consommateurs en inventant de nouveaux besoins artificiels.
Dans un monde où le comportement éthique des consommateurs est de plus en plus valorisé, il semble paradoxal de constater que leurs choix individuels pourraient n’avoir peu que d’impact face aux stratégies des grandes entreprises. Cette idée est au cœur de la théorie de la filière inversée, développée par l’économiste John Kenneth Galbraith. Selon cette théorie, les grandes firmes ont le pouvoir non seulement de répondre aux besoins des consommateurs, mais aussi de les créer.
« On a cru que le système économique procurait à l’homme les objets dont il aime depuis toujours à s’entourer pour satisfaire ses besoins innés et souverains. La liturgie formelle du système célèbre toujours ce facteur de motivation économique. Mais, comme nous l’avons déjà abondamment constaté, le système, s’il s’adapte aux besoins de l’homme, adapte aussi et de plus en plus les hommes à ses propres exigences. C’est d’ailleurs pour lui une nécessité. Cette dernière adaptation ne relève pas de la pratique banale de la vente. Elle est profondément organique. La technologie avancée et l’utilisation massive du capital ne sauraient être soumises au flux et au reflux de la demande de marché. Elles appellent la planification, et il est de l’essence même de la planification que le comportement du public puisse être non seulement prévu mais dirigé. »1
La théorie de la filière inversée suggère que, dans l’économie moderne, les grandes entreprises dictent les tendances de consommation par le biais de techniques de marketing et de publicité sophistiquées. Cette approche remet en question la notion traditionnelle selon laquelle les consommateurs exercent un contrôle souverain sur le marché par leurs choix. Les besoins des consommateurs sont dictés par les fabricants. En résumé, l’offre fait la demande.
Le rôle de la publicité et du marketing est central dans cette dynamique pour créer le désir pour de nouveaux produits. L’industrie de la mode rapide (fast fashion) illustre parfaitement la théorie de la filière inversée de Galbraith. Les grandes marques de mode, à grand renfort de campagnes publicitaires, créent un désir constant pour les dernières tendances au détriment de toutes considérations éthiques comme la durabilité ou les conditions de travail des ouvriers.
Le consommateur ne peut pas grand-chose. Ses comportements éthiques sont nobles, respectables et même nécessaires sur un plan moral, mais en grande partie impuissants à transformer ce qui doit l’être, limités qu’ils sont par l’influence omniprésente des grandes entreprises qui façonnent les désirs et les tendances.
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