L’impuissance apprise est un phénomène psychologique intrigant, étudié depuis les années 1960, et qui affecte la motivation et le bien-être. Que l’on soit parent ou manager, connaître ses mécanismes est absolument essentiel pour éviter bien des malheurs…
Julien travaille dans une grande entreprise depuis une dizaine d’années. Lors de ses premières années, il avait l’enthousiasme de la jeunesse. Mais ça lui a vite passé. Au fil des années, ses idées pour améliorer l’existant ont été systématiquement rejetées, sans même avoir été examinées un peu en profondeur. Les quelques initiatives qui ont survécu se comptent sur les doigts d’une main et, à dire vrai, ont été rapidement abandonnées.
Aujourd’hui, Julien ne propose plus rien. Chaque échec est venu renforcer l’idée que son implication n’avait aucune importance, que ses idées n’étaient pas valorisées, que l’organisation se passait très bien de son avis. Bref, Julien comprend qu’il n’a aucun contrôle sur les décisions prises au sein du groupe. Qui l’en blâmerait ?
Julien vient de développer un sentiment que l’on appelle « l’impuissance apprise ».
Perte de contrôle sur les événements
C’est en 1967 que Martin Seligman, alors jeune chercheur en psychologie, met en lumière ce phénomène. Dans les expériences de Seligman, des chiens étaient placés dans des harnais et exposés à des chocs électriques légers qu’ils ne pouvaient éviter. Plus tard, ces mêmes chiens étaient mis dans une boîte divisée en deux par une barrière basse. Un côté de la boîte délivrait des chocs électriques tandis que l’autre était sûr. Les chiens pouvaient échapper aux chocs en sautant simplement par-dessus la barrière. Cependant, les chiens qui avaient été conditionnés à ressentir les chocs de façon inévitable ne tentaient pas de s’échapper. Ils restaient passifs, subissant les chocs sans se défendre, tandis que les chiens non conditionnés s’échappaient rapidement.
Seligman a utilisé ces observations pour développer sa théorie de l’impuissance apprise, en suggérant que les chiens avaient appris qu’ils étaient impuissants, croyant que leurs actions seraient inefficaces pour changer la situation. Lorsque cette théorie fut appliquée aux êtres humains, elle a fourni un cadre pour comprendre certains aspects de la dépression clinique et d’autres troubles mentaux. Les individus qui vivent des expériences répétitives de perte de contrôle peuvent cesser d’essayer de changer leur situation, même lorsqu’ils ont réellement le pouvoir de le faire.
Plus tard, la théorie de l’impuissance apprise a été affinée. Abramson, Seligman et Teasdale ont introduit en 1978 le modèle attributif de l’impuissance apprise, qui stipule que le style d’attribution d’un individu — c’est-à-dire la façon dont il explique les événements négatifs — joue un rôle clé dans le développement de l’impuissance apprise. Si quelqu’un attribue son échec à des causes internes (« c’est ma faute »), stables (« ça ne changera pas ») et globales (« ça affecte tout », « c’est partout pareil »), il est plus susceptible de se sentir impuissant et de développer une dépression.
Optimisme et résilience
Dans le domaine de la psychologie clinique, la théorie a eu un impact substantiel sur la compréhension et le traitement de la dépression. Elle a aussi influencé le monde de l’éducation, de l’entreprise et du développement personnel, où la prévention de l’impuissance apprise est devenue un objectif pour augmenter l’efficacité, le bien-être et la motivation. L’échec, qu’il soit sentimental, scolaire ou professionnel, peut devenir une prison s’il se répète et se transforme en logique chez un individu.
Les travaux de Seligman sur l’impuissance apprise ont aussi ouvert la voie à ses recherches ultérieures sur la psychologie positive, qui se concentre sur les forces et les vertus qui permettent aux individus et aux communautés de prospérer. Seligman lui-même a souligné l’importance de l’enseignement de la résilience pour surmonter l’impuissance apprise et favoriser un état d’esprit plus proactif et optimiste.
L’impuissance apprise nous rappelle que nos expériences passées façonnent nos réactions présentes. Des circonstances adverses répétées, par effet de renforcement, nous relèguent dans une spirale d’échecs. Tout le travail d’un coach ou d’un thérapeute consiste à amener la personne qui souffre d’impuissance apprise à déconstruire cet apprentissage, expérimenter de nouveaux comportements et redonner confiance. « Les habitudes de pensée n’ont pas besoin d’être pour toujours. L’une des conclusions les plus importantes en psychologie au cours des vingt dernières années est que les individus choisissent comme ils le pensent. »
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