Fuir, quelle drôle d’idée ! Dans l’adversité, face au danger dans un conflit, n’est-ce pas manquer de courage que de fuir ? Et pourtant, si un fauve affamé entre dans votre bureau et vous y trouve mains nues, bien entendu, vous prendrez la poudre d’escampette, vous trouverez une porte par où vous éclipser et vous mettre à l’abri de ce danger féroce.
C’est dire que fuir n’est pas, dans l’absolu, une absurdité, mais que parfois, c’est la solution la plus intelligente. Même dans les rapports humains et dans les situations où vous êtes en conflit avec autrui. Parfois, il n’y a pas d’autres solutions que la fuite.
Dans le monde animal, il y a trois réponses à l’agression : l’attaque, la fuite, la sidération.
L’attaque, comme le fait par exemple le serpent dérangé qui jaillit et vous mord. La fuite, comme la gazelle devant le lion, la sidération comme certaines volailles face à un prédateur sensible aux mouvements plutôt qu’à l’odeur ou à la couleur. Parfois, ces réactions sont efficaces, parfois elles ne le sont pas. Ainsi du lièvre pris dans les phares de la voiture. Ainsi le petit roquet qui attaque le doberman. Il en est de même pour nous. Il n’y a pas de réponse optimale dans l’absolu. Il n’y a que des réponses adaptées à la situation. Et parfois il faut fuir. Fuir qui n’est pas tout à fait abandonner le terrain, mais seulement battre en retraite. C’est ainsi que les coalitions alliées étaient certaines de gagner à Austerlitz contre les troupes de Napoléon, parce que celles-ci reculaient devant elle depuis des jours.
D’où nous comprenons que fuir peut s’inscrire dans une stratégie offensive. De même la sidération, le fait de ne pas bouger, pas réagir, se fondre dans le paysage.
En rattachant ces comportements à des vertus morales telles que le courage, nous limitons en fait notre liberté d’action, l’éventail des possibilités qui nous sont offertes face aux situations que nous rencontrons. « c’est un lâche, parce qu’il a fui » est ainsi une phrase absurde, une étroitesse d’esprit.
Prendre en compte la situation
Ce qui rejoint la pensée chinoise, telle qu’évoquée dans les articles précédents de cette série, qui énonce que personne n’est lâche ou courageux, mais que c’est la situation qui fabrique les lâches et les braves. Sans autre choix que de se battre, le pire couard se battra comme un diable. Fuir n’est donc jamais qu’user d’un choix qui nous est donné dans la situation.
Bien entendu, il est néanmoins légitime de savoir si, à ce moment-là, fuir est la réponse la plus adaptée à la situation. Je songe notamment aux situations où quelqu’un d’autre se fait agresser et où les témoins ne font rien, ce qui est une manière de fuir (ou d’être sidéré). Tout le monde va s’accorder à trouver ce comportement indigne ; ce même « tout le monde », en grande partie, qui va faire de même dans la situation. D’ailleurs, moi-même, que serais-je capable de faire si j’étais témoin d’une agression où l’agresseur me dépasse d’une tête ?
Tout est ici dans le sens de la locution « adapté à la situation ». Du point de vue de la victime, le comportement de ne rien faire n’est pas adapté ; du point de vue de l’intéressé, il est adapté au moins de risque possible. C’est dire qu’implicitement que, dans pareil cas, nous pouvons privilégier notre propre sécurité contre l’intérêt collectif.
Ce que je voudrais proposer au lecteur, plutôt qu’une leçon de morale dont je n’ai cure, serait plutôt, en toute circonstance, d’avoir le courage, non d’affronter tous les dangers de la vie, mais d’assumer ses choix la tête haute. Ce qui est une façon d’assumer ses faiblesses et ses failles ; ce qui est aussi une manière de défendre sa propre humanité, à la fois faillible et en chemin de croissance vers plus de vertu.
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