Après la fuite — et la sidération —, nous examinons l’autre polarité : l’agression. Agresser, c’est violent ; agresser, c’est mal, diront la plupart d’entre nous. Mais le but de ces articles est de sortir des évidences et de gagner de la liberté de manœuvre, y compris du côté d’options qui nous semblent a priori exclues.
Il faut se souvenir d’abord que « agresser » vient du latin Ad gredior, qui signifie non seulement « agresser », au sens où nous l’entendons aujourd’hui, mais aussi « aller vers » et « entreprendre ». Ce qui me fait dire que, dans votre pratique quotidienne d’entrepreneur, vous passez votre temps à « agresser » votre environnement.
Bien entendu, je ne saurais vous mettre sur le même plan qu’un voyou qui « agresse » une personne dans la rue pour lui soutirer son portefeuille ou au prétexte qu’il l’a « mal regardé ». C’est pourquoi nous parlons, en Gestalt, de « saine agressivité ».
L’idée sous-jacente très simple se résumerait en : vivre — et a fortiori entreprendre —, c’est déranger le monde. Chaque jour qui passe, vous rêvez de changer le monde, vous rêvez d’inventer des produits ou des services révolutionnaires qui vont remporter le succès, c’est-à-dire qui vont changer l’usage de dizaines, de centaines ou même de milliers de personnes. Vous rêvez donc de bousculer les habitudes de tous ces gens et, pour ce faire, il vous faudra bien « aller vers » eux, les mobiliser, susciter leur attention.
Ce n’est pas agresser que de parler à quelqu’un, me direz-vous ! C’est pourtant de même nature, comme une musique qui va du murmure au hurlement, du délice pour les oreilles jusqu’au bruit qui déchire les tympans. Le même mouvement, que j’appelle ici « agression » en accord avec l’étymologie latine, qui va de la rencontre jusqu’à la maltraitance. La différence est donc d’intensité et le critère qui distingue la « saine agressivité » de la malsaine est la violence.
Est-ce que je fais violence à autrui dans mon mouvement ?
Ou, autrement dit, est-ce que je prends en compte l’autre, est-ce que je me soucie de son consentement et de son intégrité (physique et psychique), dans ce mouvement.
Car vous pouvez faire violence dans un geste apparemment anodin, par exemple dans un acte de vente, en forçant l’agrément ; ainsi de vendeurs qui profitent de la vulnérabilité de certaines personnes ; ainsi de toute personne qui met l’autre en situation d’emprise.
À l’inverse, l’agressivité, même en situation de conflit, n’est pas synonyme de violence.
Je passe outre ici les situations évidentes où la violence est déjà présente : quand l’autre vous a agressé et que vous n’avez d’autre choix, au moins en apparence, que de vous défendre avec, vous aussi, de la violence. Ce sont ces situations à la fois banales et regrettables, qui ne font que renforcer la démonstration que la violence appelle la violence et qu’on ne sort que difficilement de ce cercle vicieux.
Je me concentre, dans le présent exposé, sur les situations où il n’y a pas de violence, mais où la réponse ajustée est malgré tout une forme d’agressivité, c’est-à-dire d’aller au contact.
Trop souvent, notre absence « d’agressivité » manque de « contenir » l’autre. Une belle illustration de cette idée réside dans la « timidité » des arbres (voir l’illustration) qui montre que les feuillages d’arbres voisins sont séparés par une sorte de zone de « non-agression ». Qu’un des arbres vienne à disparaître et ses congénères prendront la place. De même, nous avons à marquer nos limites et notre territoire, nous avons à tracer nos lignes rouges et à les faire reconnaître par les autres. Faute de quoi, ils envahiront notre espace nous faisant une muette violence que personne ne reconnaîtra.
« Agresser » ici n’est donc jamais que la saine attitude de prendre sa place et de la faire respecter.
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