Pas un séminaire, pas une formation, pas un accompagnement ou une mission sans que, à un moment ou à un autre, la ou les personnes concernées ne demandent du concret. Du concret qui, parfois, prend la forme d’outils et de méthodes, à mettre en pratique « dès lundi ».
Dans un récent séminaire d’équipe, nous avions avec mon coéquipier Arnaud de Saint-Simon conçu notre programme avec deux journées très différentes. D’abord avec des jeux plutôt ludiques afin de mettre en lumière les comportements du groupe, de permettre à chacun de mesurer comment il fonctionne, comment le groupe lui-même fonctionne, bref afin de favoriser des prises de conscience. En fin de journée, les participants avaient à la fois manifesté leur satisfaction, mais aussi leur besoin de « concret ».
Une forme qui perdure
Ensuite, le deuxième jour, le travail avait été plus près de leur quotidien, en leur permettant d’échanger sur leurs besoins, sur leur façon de collaborer. Les participants se sont montrés satisfaits de cet exercice et de l’équilibre entre, nous ont-ils dit, le ludique et le concret.
Il se trouve que je ne suis pas d’accord avec eux. Certes, je comprends parfaitement le besoin de relier les travaux faits en séminaire avec le quotidien et les préoccupations constantes. À quoi bon sinon s’isoler deux jours si c’est seulement pour s’offrir un moment « en dehors du boulot ». Autant prendre des vacances. Cependant, j’entends dans le mot concret quelque chose de solide qui dure ; une forme qui perdure ; un accroissement, si l’on écoute attentivement l’étymologie, des personnes. En effet, le mot concret vient du latin concretus, qui signifie « qui a pris une consistance plus ou moins solide ; fort, solide ». Mot qu’on retrouve dans le mot concrétion qui désigne à la fois le processus et le résultat d’une accumulation de matière, par exemple les tombantes stalactites et les montantes stalagmites.
Les process, les règles en vigueur dans l’entreprise avec tout ce que cela implique, les valeurs, les principes, bref la culture, influent la pratique, mais ne sont pas « concrets ». Certes, elles impactent notre quotidien, mais elles sont volatiles ; peut-être même s’agit-il de ce qui est le plus volatil dans un groupe humain. Les process changent (et souvent c’est un signe de bonne santé) en fonction de l’environnement et les valeurs en fonction des circonstances et des personnes aux commandes.
À l’inverse, les comportements, ce qu’il est convenu d’appeler les savoir-être, le fond de chaque personne, avec l’accumulation de ses apprentissages, de ses prises de conscience, voilà bel et bien une chose concrète. Et grandir, n’est-ce pas en effet faire montrer en nous la stalagmite de nos savoirs ?
Un choc
À titre d’illustration, revenons sur ce séminaire. Un certain exercice le premier jour a montré que, d’une façon tout à fait pratique, il eut été pour les participants plus efficace de donner d’abord que d’attendre de recevoir. Ils ont été plusieurs à avoir été ébranlés par cette révélation. Quoiqu’« il faut donner pour recevoir » soit d’une certaine façon un truisme, que tout le monde connaît sans trop y croire nécessairement, c’est un choc de le vérifier et de constater combien nous allons souvent – un peu bêtement – à l’opposé de ce principe. C’est l’imprégnation de ce choc et l’ancrage qu’il crée dans la mémoire qui constitue le « concret » qui en résulte. À l’inverse, le travail sur les flux d’information, et même sur la compréhension mutuelle qui a prévalu le lendemain est, bien qu’utile, beaucoup moins susceptible de perdurer. Perdurera peut-être une nouvelle dynamique de travail qui s’appuiera, elle, sur le concret dont nous parlions, c’est-à-dire sur des fondations solides.