C’est sans doute le premier outil que l’on manie en école de commerce lors des cours de marketing : la matrice BCG, également connue sous le nom de matrice de croissance-part de marché. Développée dans les années 1970 par Bruce Henderson, fondateur du Boston Consulting Group (BCG), l’un des cabinets de conseil en stratégie les plus influents au monde, cette matrice est née de la volonté de créer un outil simple et efficace pour aider les entreprises à analyser leur portefeuille de produits ou d’activités afin de prendre des décisions stratégiques éclairées concernant l’allocation des ressources. Vous ne connaissez pas cette matrice ? Vous l’avez oubliée ? Ce n’est pas grave, vous avez droit à une session de rattrapage.
Ce modèle analytique aide à prioriser les investissements, à allouer les ressources de manière efficiente et à envisager des stratégies adaptées à chaque type de produit. Les quatre catégories qui composent la matrice sont les étoiles, les vaches à lait, les dilemmes et les poids morts, chacune caractérisée par des spécificités stratégiques précises.
- Les étoiles : des investissements à haut potentiel
Les étoiles représentent des produits qui allient une forte part de marché à un marché en pleine expansion. Ces produits sont essentiels pour l’entreprise, car ils génèrent des revenus substantiels et sont vecteurs de croissance. Toutefois, leur maintien en tête du marché exige des investissements importants en matière de recherche, de développement et de marketing. La stratégie consiste à soutenir ces produits pour consolider leur position et accroître encore leur rentabilité future.
L’iPhone, lors de ses premières années de lancement, en est l’illustration parfaite. Au moment de son arrivée sur le marché, il s’est imposé comme un produit novateur, bénéficiant d’une forte demande et dominant progressivement le marché des smartphones. Apple a dû investir massivement en R&D et en marketing pour s’assurer de rester à la pointe de la technologie et maintenir sa position dominante, en dépit d’une concurrence croissante.
- Les vaches à lait : pilier de la stabilité financière
Les vaches à lait se distinguent par leur forte part de marché, mais sur un marché dont la croissance est faible ou nulle. Ces produits sont une source de revenus stables et importants, car ils nécessitent peu d’investissements supplémentaires pour demeurer rentables. La stratégie pour ces produits consiste à maximiser la rentabilité tout en limitant les coûts de maintenance et d’exploitation. Les flux de trésorerie générés permettent de financer d’autres activités plus risquées ou émergentes.
Un exemple ? Le système d’exploitation Windows qui a dominé le marché des logiciels pendant des décennies et qui continue de générer des revenus constants, bien que le marché des systèmes d’exploitation soit désormais mature. Microsoft bénéficie d’une rentabilité stable avec des investissements minimes. Cette rentabilité permet de soutenir d’autres projets tels que le développement de solutions cloud et d’applications d’intelligence artificielle.
- Les dilemmes : potentiels en suspens
Les dilemmes représentent un défi stratégique pour les entreprises. Ces produits se trouvent sur un marché en forte croissance, mais leur part de marché est encore faible. Ils exigent des investissements considérables pour espérer atteindre une position dominante, ce qui les expose à un risque important : l’investissement peut ne pas se concrétiser en une augmentation significative de parts de marché. Les entreprises doivent évaluer s’il est plus judicieux d’allouer des ressources pour transformer ces produits en étoiles ou de se retirer du marché.
Dans les années 2010, plusieurs constructeurs automobiles traditionnels, tels que Ford ou General Motors, ont lancé des modèles de véhicules électriques pour tenter de suivre la tendance croissante de la mobilité durable. À ce moment-là, le marché des véhicules électriques était en forte croissance, poussé par la sensibilisation environnementale et les subventions gouvernementales. Cependant, la part de marché de ces constructeurs était faible comparée à celle de pionniers comme Tesla, qui dominait déjà ce secteur avec une notoriété et une expertise accrues.
Pour Ford ou General Motors, ces véhicules électriques étaient des dilemmes : des produits prometteurs sur un marché en forte croissance, mais nécessitant des investissements importants en recherche et développement, infrastructures de recharge et marketing pour augmenter leur part de marché. L’incertitude portait sur la question de savoir si ces investissements massifs se traduiraient par une croissance suffisante pour transformer ces modèles en « étoiles » ou s’ils continueraient à stagner en tant que produits de niche, incapables de rivaliser pleinement avec des acteurs mieux établis.
- Les poids morts : des choix stratégiques difficiles
Enfin, les poids morts représentent des produits ayant une faible part de marché sur un marché dont la croissance est également faible. Leur potentiel de croissance et de rentabilité étant limité, ils peuvent devenir un fardeau pour l’entreprise en mobilisant des ressources qui pourraient être mieux utilisées ailleurs. La stratégie pour ces produits est souvent de les abandonner ou de réduire les investissements, sauf si leur maintien peut être justifié pour des raisons spécifiques, comme une niche de marché ou des synergies stratégiques.
Avant l’explosion des smartphones dotés de caméras haute résolution, les appareils photo numériques compacts représentaient une part importante du marché de la photographie. Cependant, avec l’amélioration rapide des technologies intégrées aux smartphones, la demande pour ces appareils a chuté de manière drastique. Des entreprises comme Canon, Nikon et Sony, qui dominaient autrefois ce marché, ont vu leurs produits de base perdre en pertinence et en rentabilité.
Aujourd’hui, les appareils photo numériques compacts sont généralement considérés comme des poids morts : ils détiennent une faible part de marché sur un marché en déclin. Les ventes sont marginales, et même si certaines entreprises continuent de produire ces appareils, la majorité des ressources et des investissements se concentrent désormais sur des segments plus rentables, comme les appareils photo hybrides ou professionnels. L’entreprise doit souvent décider s’il est préférable de maintenir ces produits à perte, en tant que complément à la gamme, ou de cesser leur production pour allouer des ressources à des marchés plus porteurs.
Cependant, la matrice BCG souffre de certaines limites notables. La première critique majeure repose sur sa vision simpliste et binaire, qui ne prend en compte que la part de marché relative et la croissance du marché, sans intégrer des facteurs clés tels que la rentabilité réelle, les synergies entre produits et l’impact des évolutions technologiques. Cette approche peut conduire à une analyse incomplète, voire erronée, des priorités stratégiques d’une entreprise. La seconde critique porte sur l’hypothèse de corrélation entre la part de marché et la rentabilité, qui n’est pas systématiquement vérifiée dans la réalité. De nombreux produits peuvent avoir une forte part de marché sans être rentables, en particulier dans des secteurs où la compétition par les prix réduit les marges.
Cadre d’analyse utile, cette grille de lecture doit être appliquée avec prudence et complétée par d’autres outils et perspectives pour tenir compte de la complexité des marchés. Comme le reconnaît Bruce Henderson lui-même, « la matrice croissance-part de marché est simple et est rapidement devenue un outil populaire pour guider la stratégie des portefeuilles de produits, mais sa simplicité est aussi sa plus grande faiblesse ».
Crédit photo : Randy Fath – Unsplash