Qu’est-ce que la théorie du déversement ? 

Du ruissellement au déversement, nous nous trouvons avec ces deux mots dans une logique de flux qui disparaîtrait d’un endroit X pour réapparaître tout naturellement automatiquement à un endroit Y, à l’image d’une cascade. Derrière une même logique, une même volonté semble apparaître : celle de travestir la réalité et de légitimer les travers du libéralisme. 

Vous connaissez déjà la théorie du ruissellement, qui prétend que les avantages fiscaux et financiers accordés aux plus riches finiront par profiter à l’ensemble de la société. Selon cette théorie, la réduction des impôts sur les hauts revenus et les grandes entreprises stimule l’investissement et la création d’emplois, ce qui entraînera une croissance économique qui « ruissellera » vers les classes moyennes et pauvres. Mais qui croit encore à ce tour de magie ? Une théorie qui n’est, pour de plus en plus de personnes, qu’un tissu de foutaises, masquant la réalité de l’accroissement des inégalités. Mais connaissez-vous la théorie du déversement en économie ? Elle aussi n’est pas exempte de toute critique… 

Un déplacement des emplois 

Prenons le cas de l’agriculture au XIXe siècle. Avec l’introduction des machines agricoles, beaucoup craignaient que la mécanisation n’entraîne une perte massive d’emplois dans ce secteur. En réalité, ce qui s’est produit est plus nuancé : les emplois agricoles ont certes diminué, mais cette main-d’œuvre a progressivement été absorbée par l’industrie, un secteur en plein essor à cette époque. Ce phénomène illustre parfaitement la notion de « déversement », proposée par l’économiste français Alfred Sauvy dans les années 1950 : lorsque des gains de productivité se réalisent dans un secteur, ils entraînent un déplacement des emplois vers d’autres secteurs moins automatisés ou nouveaux. En d’autres termes, le progrès des techniques et la productivité qu’il engendre ne relèguent pas les travailleurs à l’inactivité ; ceux-ci se « déversent » dans des secteurs en expansion. 

Ce processus repose sur l’idée que l’innovation technologique dans un secteur réduit la demande en travail, mais crée des opportunités dans d’autres secteurs. « Rien ne se perd. Tout se transforme ». Comme Antoine Lavoisier en chimie, Alfred Sauvy avançait que, en économie, les emplois ne disparaissent pas, mais se transforment. De quoi rendre optimiste ! Mais, à l’instar de la théorie du ruissellement, celle du déversement n’est-elle pas purement et simplement une fable ? Belle certes, mais trompeuse. 

Ça marche en théorie, mais pas en pratique 

Certains économistes aujourd’hui nous alertent en effet sur la qualité dans les emplois créés, souvent précaires. Les nouveaux secteurs qui émergent, souvent dans les services ou la technologie, peuvent ne pas offrir des emplois de même qualité ou avec des salaires aussi attractifs que ceux perdus dans les secteurs industriels ou manufacturiers. Cela conduit à une précarisation des travailleurs, qui peuvent se retrouver dans des emplois moins stables ou moins bien rémunérés. 

De même, les transitions prennent parfois du temps, et le décalage peut entraîner des périodes de chômage pour les travailleurs. Les travailleurs peuvent manquer de compétences adaptées aux nouveaux secteurs, nécessitant des formations coûteuses ou longues, et beaucoup ne réussissent pas à se reconvertir efficacement. Cela peut mener à un chômage structurel. Bref, cette mécanique du déversement semble, en pratique, se gripper… 

Si la théorie du déversement éclaire certaines dynamiques économiques historiques et si elle accrédite la vision schumpétérienne d’une « destruction créatrice », elle ne permet pas de prédire les conséquences sociales des changements technologiques actuels. Loin de là !

Crédit photo : Jeffrey Workman – Unsplash

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