Changer radicalement de modèles, d’entreprise et d’économie, voilà bien l’urgence du moment pour lutter contre la montée des inégalités et le péril climatique. Or cette radicalité n’est pas le propre de la jeunesse ; elle serait, selon la chercheuse Virva Salmivaara qui enseigne à Audencia Nantes et qui signe cet article, une qualité propre aux entrepreneurs de plus de 50 ans. Reste cependant à mettre ce potentiel au service de la transition en cours, qui ne doit pas se limiter à l’économique.
Julie Wainwright, qui a travaillé comme PDG pendant près de vingt ans, avait une cinquantaine d’années lorsqu’elle a créé la plate-forme de luxe de seconde main The RealReal. Harland Sanders avait 62 ans lorsqu’il a créé la chaîne de restaurants Kentucky Fried Chicken (KFC), et Bernie Marcus avait 50 ans lorsqu’il a ouvert le premier magasin de bricolage Home Depot.
Dans quelle mesure un tel potentiel d’innovation est-il courant chez les entrepreneurs plus âgés ? Alors que la population vieillit dans de nombreux pays développés et que l’on y travaille de plus en plus tard, il paraît important de savoir comment tirer le meilleur parti de l’expérience des personnes plus âgées.
Dans une étude publiée récemment, nous montrons que les entrepreneurs plus âgés ont beaucoup à offrir : ceux qui créent une entreprise à un âge avancé (50 ans et plus) paraissent plus susceptibles d’apporter des innovations radicales sur le marché que leurs homologues plus jeunes grâce à leurs compétences et à leur expérience. De surcroît, ces nouveaux produits et services sont très bénéfiques pour l’économie.
Plus de nouveautés (et de chiffre d’affaires)
En explorant une base de données incluant 2 900 fondateurs de nouvelles entreprises en Allemagne entre 2008 et 2017, nous avons constaté que, en moyenne, la probabilité qu’un fondateur introduise une nouveauté sur le marché augmente de 30 % lorsque son âge augmente de 10 ans. Les entrepreneurs en fin de carrière sont ainsi plus de trois fois plus susceptibles d’introduire des nouveautés sur le marché que la moyenne de l’échantillon.
En termes de chiffre d’affaires, dix années d’âge supplémentaires se traduisent par une augmentation d’environ 35 000 euros par an du chiffre d’affaires généré par les innovations, soit environ 26 % de plus que la moyenne de l’échantillon pour la tranche d’âge la plus élevée. L’impact positif de l’âge du fondateur sur les nouveaux produits et/ou services se poursuit jusqu’à la retraite.
Les jeunes fondateurs, eux, introduisent un plus grand nombre d’innovations dans l’ensemble, mais il s’agit d’innovations déjà répandues ailleurs. Elles ne concernent souvent que leur entreprise. Elles visent à améliorer les processus et l’offre de produits d’une entreprise particulière, par exemple en créant un nouveau logiciel pour réduire les coûts, en utilisant une nouvelle technologie pour réduire le temps de production ou en introduisant de nouvelles fonctionnalités pour rendre un service plus convivial.
Ces résultats s’expliquent principalement par l’expérience des fondateurs plus âgés ainsi que par leur richesse personnelle plus élevée lorsqu’ils créent leur propre entreprise. Les personnes qui passent d’un emploi salarié à l’entrepreneuriat plus tard dans leur vie sont également plus susceptibles d’embaucher des employés plus instruits. La combinaison de tous ces facteurs modifie les motivations des entrepreneurs et leur capacité à créer des innovations et fait que les fondateurs plus âgés réussissent à développer des produits et/ou des services novateurs qui perturbent les marchés.
Favoriser l’entrepreneuriat à un âge avancé
Nos résultats remettent en question le stéréotype dominant selon lequel les fondateurs plus âgés ne sont pas très innovants. Nous montrons qu’il est important de faire la distinction entre les innovations qui sont simplement nouvelles pour une entreprise particulière et celles qui sont nouvelles sur le marché.
Pour que les États puissent bénéficier de la capacité des entrepreneurs âgés à développer des innovations réellement nouvelles, il faut briser le mythe selon lequel l’esprit d’entreprise est réservé aux jeunes. En pratique, cela nécessite des régimes de retraite qui encouragent les entrepreneurs à travailler plus longtemps. Il s’agit également d’encourager la mobilité professionnelle, afin que les individus puissent passer à l’entrepreneuriat plus tard dans leur vie.
En ce qui concerne la gestion des entreprises établies, nos conclusions suggèrent que les travailleurs plus âgés ont un grand potentiel d’innovation. Actuellement, ces travailleurs peuvent quitter leur emploi et devenir entrepreneurs afin de poursuivre des idées radicalement nouvelles et commercialement fructueuses. Les dirigeants devraient donc remettre en question les stéréotypes sur les travailleurs âgés et créer des environnements de travail où les travailleurs âgés, avec leurs idées novatrices et leurs compétences étendues, peuvent faire avancer l’innovation.
Virva Salmivaara, Audencia, « The conversation »