L’acte de mesurer la performance ou un comportement n’est pas neutre. Il influe directement ce qui est observé. Un phénomène dont il faut tenir compte lors de toute évaluation, sous peine de se tromper.
Connaissez-vous le phénomène connu sous le nom de « problème de la mesure » en mécanique quantique ? Non ? Je vais essayer de vous l’expliquer succinctement. Je me lance.
Détour par la physique quantique
Niels Bohr et Werner Heisenberg ont montré dans les années 1920 que les particules quantiques peuvent exister dans un état de superposition, ce qui signifie qu’elles peuvent se trouver dans plusieurs états possibles en même temps. Ça a l’air un peu dingue, mais l’idée est qu’une particule, comme un électron, peut exister simultanément en plusieurs endroits ou états jusqu’à ce qu’elle soit mesurée. Lorsqu’une observation ou une mesure est effectuée, la superposition est « effondrée » à un seul état observable. Lorsqu’on observe les particules passant par les fentes, leur comportement change, passant d’un modèle d’interférence (caractéristique d’une onde) à un modèle de particules distinctes. Cette expérience dite de double fente a permis de démontrer la nature à la fois ondulatoire et particulaire de la lumière et des électrons.
Pourquoi commencer cet article par un exposé très rudimentaire de physique quantique ? Tout simplement parce que le phénomène décrit — « le problème de la mesure » — partage avec un phénomène psychologique — « l’effet mesure » — ce même principe : l’acte d’observer peut influencer l’objet de l’observation.
Les expériences de Relay Assembly Test Room, menées entre 1927 et 1932 dans le cadre des études Hawthorne1 à la Western Electric Company, semblent accréditer cette thèse. Ces études, menées pour examiner l’impact des conditions de travail sur la productivité des employés, ont en effet mis en évidence ce phénomène appelé depuis « effet Hawthorne ». Ce dernier désigne la tendance des individus à modifier leur comportement en réponse à leur conscience d’être observés ou étudiés, plutôt qu’en réponse aux changements spécifiques apportés à leur environnement de travail.
Les participantes lors d’une expérience ont été déplacées dans une pièce séparée pour les isoler de leur environnement de travail. Les chercheurs ont introduit plusieurs changements dans leur nouvel environnement de travail des participantes pour observer l’impact sur leur productivité : réduction de la journée de travail et des semaines de travail, introduction de pauses, fourniture de repas gratuits pendant les pauses, modification des systèmes de rémunération et d’incentives. Les superviseurs ont, de surcroît, communiqué plus fréquemment avec les travailleuses. Résultats : la productivité a significativement augmenté pendant et après les expériences.
Les chercheurs ont conclu que les gains de productivité n’étaient pas seulement dus à l’obtention de nouveaux avantages matériels ou à des conditions de travail plus favorables, mais également à des facteurs psychosociaux, comme se sentir valorisé ou mieux communiquer avec les managers. L’attention portée aux employés (et non la seule modification de l’environnement de travail) peut sensiblement améliorer la productivité. Les comportements d’un individu peuvent changer en fonction de l’attention ou de l’absence d’attention qui lui est portée. Pour le dire autrement, quand un individu est évalué et qu’il sait qu’il est évalué, sa performance peut être différente de celle qu’il fournit quand il sait qu’il n’est pas sous contrôle.
Les enseignements de l’expérience Hawthorne doivent inciter les chercheurs à une grande prudence lorsqu’ils tirent des conséquences de leurs expériences : les résultats d’une étude ne proviennent pas nécessairement des éléments expérimentaux en eux-mêmes, mais également de la prise de conscience par les participants qu’ils sont impliqués dans une expérience où leur performance est évaluée. Et cela entraîne souvent une augmentation de leur motivation.
Crédit photo : Diana Polekhina – Unsplash