L’actualité met régulièrement en lumière les militants du climat dont le combat les amène à transgresser les lois. Que faut-il en penser ? Quels sont les principes qui orientent ce type de combats ? Quelques éléments de réponse avec Henry David Thoreau, penseur de la désobéissance civile.
Le 25 juillet 1846, Sam Staples, agent de recouvrement des impôts locaux, ordonne au philosophe Henry David Thoreau de payer six ans d’arriérés. Il sera incarcéré pour ce refus. Car il s’agit bien d’un refus assumé de payer ses impôts à l’État américain, et non d’une incapacité. Par ce refus, Thoreau signifie sa désapprobation vis-à-vis de la politique menée par l’État américain, caractérisée par son acceptation de l’esclavage et sa guerre contre le Mexique. Cet épisode marquera fortement Thoreau et sera à l’origine d’un court essai politique, La désobéissance civile, voué à la postérité. Que soutient Thoreau dans ce texte qui inspirera des générations de militants dont sans doute Camille Etienne qui, le 1er novembre 2022 sur le plateau de C ce Soir, distingue justice et légalité.
Comprenez qu’en tant que citoyens, qu’en tant que citoyennes, quand il y a des lois qui sont injustes, alors on doit désobéir.
Camille Etienne
Thoreau soutient d’abord que l’État n’est pas infaillible. Le pouvoir n’a pas raison sur tout. En anarchiste assumé, le philosophe réhabilite la responsabilité individuelle. Oui, les individus ont le droit de juger par eux-mêmes si les actions de l’État sont justes ou injustes. L’État fait appliquer le droit, mais en aucun cas ne peut se substituer aux individus pour décréter ce qui est bien ou ce qui ne l’est pas. Quand la loi s’avère injuste, il importe de ne pas l’accepter. « Il existe des lois injustes : consentirons-nous à leur obéir ? Tenterons-nous de les amender en leur obéissant jusqu’à ce que nous soyons arrivés à nos fins — ou les transgresserons-nous tout de suite ? ». Quand une lutte de légitimité apparaît, que la loi fait fi de la morale, la désobéissance s’impose. Le respect de la loi doit être questionné ; il ne va pas de soi. Il n’y a pas pire obéissance que celle, aveugle, qui nous fait oublier le juste. À part peut-être celle qui consiste à acquiescer, par pur légalisme, à ce qu’il considère comme injuste.
La majorité, source d’inertie
Thoreau prend pour exemple l’esclavage, système qu’il abhorre depuis toujours. « Je n’hésite pas à le dire : ceux qui se disent abolitionnistes devraient, sur-le-champ, retirer tout de bon leur appui, tant dans leur personne que dans leurs biens, au gouvernement du Massachusetts, et cela sans attendre de constituer la majorité d’une voix, pour permettre à la justice de triompher grâce à eux. » La majorité est une force d’inertie ; c’est pour cette raison que Thoreau valorise l’action individuelle qu’il place au-dessus de l’action collective ou politique. Son raisonnement est limpide : face à l’intolérable, il ne s’agit pas d’attendre d’être majoritaire pour changer l’ordre du monde, mais de décider de faire sécession immédiatement. « Si le percepteur ou quelque autre fonctionnaire me demande, comme ce fut le cas : “Mais que dois-je faire ?”, je lui réponds : “Si vous voulez vraiment faire quelque chose, démissionnez !” Quand le sujet a refusé l’obéissance et que le fonctionnaire démissionne, alors la révolution est accomplie. » La révolution telle que l’entend le philosophe américain ne prend pas la forme d’un Grand Soir, mais d’une Grande Démission.
Pour Thoreau, la révolution ne consiste pas à renverser l’ordre existant ; elle n’implique aucune violence. Elle est d’abord une révolution intérieure, une transformation profonde de sa manière d’interagir avec le monde, un « alignement » entre valeurs et comportements, dirions-nous aujourd’hui.
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