La question climatique secoue le secteur de l’automobile. L’objectif pressant d’une réduction des émissions de CO2 conduit les constructeurs à s’engager dans des voies contraires. C’est ce que Clayton M. Christensen, professeur à la Harvard Business School, nomme le dilemme de l’innovateur.
Pour Clayton M. Christensen, il existe deux types d’innovation. Les innovations de soutien permettent d’améliorer les produits existants en fonction des attentes actuelles. Généralement les attentes des clients mais aussi celles de la société. Elles ont principalement pour objectif l’amélioration de la performance d’un produit ou d’un service existant. Ces innovations sont généralement peu risquées ; elles ne remettent pas en cause le business model. Dans l’industrie automobile, une innovation de soutien consisterait à améliorer la consommation de carburant d’un modèle existant de voiture, ou même à travailler sur l’élaboration de nouveaux carburants qui ne remettraient pas en cause l’existence du moteur thermique. Les constructeurs actuels travaillent en ce sens sur les « e-fuel » pour sauver les véhicules thermiques après 2035, date à partir de laquelle les véhicules essence et diesel neufs ne devraient plus être vendus en Europe.
Et puis il y a les innovations perturbatrices, qui introduisent de nouvelles technologies, processus ou modèles d’affaires qui peuvent ne pas répondre immédiatement aux besoins des clients existants et peuvent même être de qualité inférieure aux produits existants. C’est le cas avec les véhicules électriques, dont les moteurs n’émettent pas de CO2 mais dont l’autonomie reste pour l’heure en deçà de celle des moteurs thermiques. Avec le temps, les améliorations technologiques vont permettre à ces véhicules de rivaliser, voire de surpasser les véhicules traditionnels.
Le défi pour les entreprises établies est de trouver un équilibre entre ces deux types d’innovations. Ne pas investir dans les innovations perturbatrices, c’est prendre le risque de rester au bord du quai et de regarder le train repartir sans vous. On se souvient de Kodak. De même, s’engager pleinement dans les innovations perturbatrices s’avère très incertain, et souvent très coûteux. C’est un véritable pari. On se souvient de la célèbre phrase prononcée par De Gaulle déplorant le manque d’inventivité des chercheurs lors d’une visite au CNRS en 1967 : « Des chercheurs qui cherchent, on en trouve. Mais des chercheurs qui trouvent, on en cherche… »
Du dilemme au paradoxe
Comment dépasser ce dilemme de l’innovateur ? Peut-être en imaginant des innovations plus radicales encore. Les solutions qui peuvent émerger alors sont moins incertaines, moins technocentrées, plus efficaces. Mais, radicales, elles impliquent un changement complet de notre logiciel mental, un renversement complet de nos représentations, une table rase de l’existant. Par exemple, au lieu de penser « changer la motorisation pour émettre moins de CO2 », il s’agit d’imaginer comment repenser nos déplacements de A à Z en multipliant les pistes (transports en commun, véhicules autonomes et collectifs…). Cette remise en cause de l’existant constitue à la fois sa force et sa faiblesse. Sa force parce que ces innovations s’attaquent réellement au problème qu’elles sont censées résoudre ; sa faiblesse en ce que les acteurs déjà installés s’activent à refuser le changement.
Voilà comment, en dissertant sur le dilemme de l’innovateur (innovations de soutien versus innovations perturbatrices), nous concluons sur un paradoxe de l’innovation radicale (force et faiblesse indissociables des innovations radicales).
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