Paradoxe : dans les organisations, on promeut la diversité, mais on a horreur du conflit. Or le conflit naît de la différence – et donc de la diversité – des points de vue.
Antoine Houdar de La Motte (1672 – 1731) est aujourd’hui complètement oublié. Pourtant cet écrivain contemporain de Jean de la Fontaine occupait une place importante dans la vie intellectuelle de son époque. Dans un recueil de fables de 1719, Houdar de la Motte nous conte l’histoire de quatre amis qui n’étaient jamais d’accord et qui se querellaient dans cesse. Un jour, l’opposition fut si forte « que l’entretien devint presque une lutte ».
Ces quatre amis décidèrent alors de demander à Apollon de les mettre enfin d’accord sur tous les sujets à l’avenir. Ce que fit le dieu.
« Des quatre ne fit qu’une tête :
C’est-à-dire qu’il leur donna
Sentiments tout pareils et pareilles pensées. »
L’harmonie. Enfin ! Plus de conflictualité ni de tension.
Mais voilà qu’en étant d’accord sur tout, tout l’intérêt de leur relation s’évanouit. Le sel de leur amitié disparaît. A cette concorde nouvelle succède rapidement l’ennui.
« L’ennui vint : l’amitié s’en sentit altérer.
Pour être trop d’accord nos gens se désunissent.
Ils cherchèrent enfin, n’y pouvant plus durer,
Des amis qui les contredissent. »
La morale de cette fable tient tout entière dans ce dernier vers passé à la postérité :
« L’ennui naquit un jour de l’uniformité. »
Travailler dans la durée
Houdar de la Motte nous met en garde ici contre l’envie compréhensible de pacifier à tout prix les relations, quitte à gommer toutes différences et à uniformiser les opinions. Ce qui vaut pour les amis vaut également pour la vie des organisations. A l’heure où le mot diversité s’affiche sur le fronton des sièges sociaux, il est bon de rappeler que qui dit diversité dit en même temps possibilité de conflit. L’un ne va pas sans l’autre. Or ce risque est généralement redouté. La conflictualité, on n’en veut pas dans les entreprises. Dans les organisations, il faut que tout soit fluide, facile, sans aspérités.
Pour que des individus aiment à travailler ensemble dans la durée, il faut deux ingrédients indissociables : générer de la confiance et trouver un intérêt commun. C’est aussi simple que cela : l’individu s’engage parce qu’il a une bonne raison de le faire et parce que les relations qu’il noue avec les autres individus sont fiables.
Manager, cela revient simplement à créer les conditions pour que cela soit possible. Et cela ne peut être possible qu’en acceptant cette conflictualité inhérente à la vie des organisations, qu’en créant des occasions et un cadre pour qu’elle puisse s’exprimer franchement et sereinement pour qu’elle ne se transforme pas à un moment en violence. Rien de pire que les conflits larvés qui pourrissent la vie des organisations.
Sans conflictualité, pas de diversité, pas de créativité, pas d’innovation… Ni d’avenir.
Crédit Photo : Can Stock Photo – photography33