Comment expliquer le rapport des Français au travail?

Dans un article publié il y a peu, nous « débunkions » l’idée selon laquelle la valeur travail serait en perte de vitesse dans notre pays. Ce n’est pas le cas, tout simplement parce que le travail n’est pas une valeur. Par contre, nous pouvons affirmer que les Français lui accordent de moins en moins d’importance. La faute au COVID ? Oui et non. Si le COVID et l’expérience des confinements ont incontestablement été un révélateur, il n’a pas été à l’origine d’un mouvement déjà engagé depuis un siècle.

Moins de temps dans la vie des gens consacré au travail

Vers 1936 en Europe, 40 % de la vie des femmes et des hommes était consacré au travail. Aujourd’hui, c’est 12 % grâce à la hausse de l’espérance de vie, augmentation du nombre de congés payés, avancée de l’âge de la retraite. Dans ces conditions, comment s’étonner alors du fait que le travail ne soit plus central dans l’existence des Français ?

Pour le sociologue Jean Viart, « le hors travail a toujours structuré le travail par derrière : ce qui fait qu’un individu est productif, c’est la façon dont il s’enrichit sans arrêt de par les événements de sa vie, ses amours, ses découvertes, ses lectures, etc. De fait, dans notre société où le travail évolue à toute vitesse, le besoin d’avoir un hors travail riche augmente proportionnellement » [1]. Le loisir n’est pas l’opposé du travail, mais ce qui le rend vivable. C’est sans doute ce que doivent en particulier ressentir les salariés qui travaillent quatre jours par semaine. Même si en nombre d’heures par semaine, ils travaillent autant, la répartition entre vie professionnelle et personnelle tend à s’équilibrer. Les employeurs parlent d’employés plus productifs précisément parce que ces derniers bénéficient de plus de temps pour eux et pour leur famille.

Le sentiment que le travail ne paie plus

Un autre phénomène tend à expliquer le désengagement de plus en plus de personnes vis-à-vis du travail. Il s’agit du problème mis en évidence par les Gilets Jaunes : la baisse du pouvoir d’achat. Quand les prix évoluent plus rapidement que les salaires, cela se traduit mécaniquement par une baisse du pouvoir d’achat. Pendant que les économistes dissertent pour savoir si cette baisse est réelle ou ressentie, les restos du cœur accueillent toujours plus de monde. L’inflation galopante vient aggraver le phénomène, malgré les tentatives de colmatage ici ou là du gouvernement. Les Trente Glorieuses sont loin. Et avec elles, la promesse que le travail paie. On parle de travailleurs pauvres et même de précariat. On peut ne pas être farouchement anticapitaliste et oser penser qu’il y a peut-être ici à revoir du côté de la répartition de la valeur entre actionnaires et salariés. « […] La promesse consumériste n’est plus tenue. La création de richesses bénéficie à une minorité qui monopolise les pouvoirs ; les loyers et le carburant augmentent, tandis que le pouvoir d’achat des catégories populaires stagne. Fait inédit, la protestation massive des Gilets jaunes s’oppose à la fois à la paupérisation économique et à la confiscation démocratique. »[2]

Perte de sens

Désengagement, désenchantement. Le sens du travail fait également problème. C’est la montée en puissance de la « bullshitisation » du travail. Le temps de travail est de plus en plus grignoté par des activités parasites, néfastes. C’est le soignant qui passe plus de temps à remplir des formulaires qu’au contact des malades. Ou encore le manager dont les journées consistent à renseigner des fichiers Excel à des fins de contrôle plutôt qu’à faciliter le travail de ses subordonnés.

Avènement de la société des loisirs, mauvais partage de la valeur, management par le chiffre et les process… Autant de facteurs qui contribuent à la grande démission ambiante. Dans les réformes qui s’annoncent, comment sont-ils pris en compte ?


[1] Interview au journal Le Monde,

[2] Coutrot, Thomas ; Perez, Coralie. Redonner du sens au travail, Éditions du Seuil, 2022.

Crédit Photo : fauxels – Pexels

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