Pourquoi les salariés se montrent-ils aussi rétifs face au projet de réforme des retraites ? Pourquoi autant de fermeture et même d’hostilité face à une mesure qui va dans le bon sens, à savoir la préservation du système par répartition ? Quelques éléments d’explication.
Depuis des décennies, les gouvernements successifs font pourtant preuve de « pédagogie ». Un conseil d’orientation des retraites a été créé pour servir de lieu permanent d’études et de concertation entre les principaux acteurs du champ des retraites. Désespérant ! Hermétiques aux arguments de bon sens des réformateurs, de nombreux Français souffrent d’un narcissisme quasi pathologique, d’une impossibilité à dépasser leur petit intérêt personnel se hisser au niveau de l’intérêt général.
Seuls les retraités, majoritairement, font preuve de responsabilité en approuvant les sacrifices consentis par d’autres, comme l’allongement de la durée de cotisation.
Notre président a cerné le problème depuis longtemps. Le 3 octobre 2019 à Rodez, à l’issue d’une concertation citoyenne sur la réforme des retraites, Emmanuel Macron a précisé pourquoi il « n’adore pas le mot pénibilité ». « Parce que ça donne le sentiment que le travail serait pénible ». Qu’on ne s’y trompe pas : la pénibilité ne renvoie à aucune réalité objective. Elle reflète simplement la réalité intérieure de sujets impuissants à « kiffer leur job » ; elle relève donc du pur fantasme.
« There is no alternative »
Ce phénomène de déconnexion ne concerne pas seulement la réforme des retraites, mais plus largement le grand mouvement de « modernisation » de nos économies, appelée souvent « mondialisation néolibérale » par ses détracteurs. Des ouvriers licenciés saisissent rarement les tenants et les aboutissants du raisonnement qui a amené les actionnaires à délocaliser l’usine à l’étranger. Ils deviennent amers. Ils ne comprennent pas comment fonctionnent le marché et ses lois et perçoivent la mondialisation comme une menace alors que nous savons qu’elle est une chance. De même, les patrons du CAC40 qui gagnent en moyenne 369 fois le SMIC se montrent parfois défavorablement surpris par les prétentions salariales des salariés de leur entreprise. Ces salariés semblent ignorer combien la concurrence est rude et à quel point il faut se serrer la ceinture pour que l’entreprise continue de faire des profits. Comment, en 2023, peut-on ne pas intégrer ce que Margareth Thatcher avait résumé dans ce simple slogan « There is no alternative » ?
Tous ces discours à peine caricaturaux opposent les sachants aux ignorants. Mais l’idéologie qui les sous-tend craque aujourd’hui de toutes parts. On ne croit plus à la théorie de la main invisible ni à celle du ruissellement. Ce que ces discours révèlent, c’est bien l’existence de deux mondes distincts… et l’impossibilité d’un monde commun à partager, selon l’expression de Bruno Latour. « Ne croyez pas une seconde ceux qui prêchent l’appel du grand large, la « prise de risque », l’abandon de toutes les protections et qui continuent à désigner du doigt l’horizon infini de la modernisation pour tous ; ces bons apôtres ne prennent de risques que si leur confort est garanti. Au lieu d’écouter ce qu’ils disent par-devant, regardez plutôt ce qu’ils ont dans le dos : vous y verrez briller le parachute doré, soigneusement plié, qui les assure contre tous les aléas de l’existence. »[1]
[1] Latour, Bruno. Où atterrir ?, La Découverte, 2020.
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