Avec 1000 salariés, LDLC fonctionne en s’inspirant des principes issus de « l’entreprise libérée ». Son fondateur, Laurent de la Clergerie, a fortement investi dans Time for the Planet, un fonds d’investissement qui agit contre le réchauffement climatique. Décroissance, micro-fermes et éducation : second volet de notre interview sur l’engagement écologique et entrepreneurial du patron lyonnais.
Vous avez fortement investi dans Time for the Planet. Comment cette prise de conscience écologique est née chez vous ?
C’est une prise de conscience un peu tardive. Il y a 3 ans, j’ai écrit un post sur LinkedIn sur ce sujet, un post pas très revendicatif, mais qui disait en substance « Il faut bouger ». Les responsables de Time for the Planet m’ont alors contacté. Quand ils ont exposé leur idée, je me suis dit que c’était génial. Ce sont des personnes très investies et leur projet, ce n’est pas du bullshit. J’ai dit que j’allais les aider. Nous avons injecté 200 000 €, ce qui représentait à l’époque 10 % de leur capital. J’ai fait cela dans l’idée de montrer qu’une entreprise doit s’investir et pour les faire grandir. Nous avons par la suite poussé l’investissement à un million d’euros, toujours dans cet objectif. Si nous ne sommes pas capables de mettre un peu d’argent sur la table, des projets vertueux n’aboutiront pas. L’équipe est volontaire et les projets initiés sont bons : on doit y aller ! Une entreprise investit à 2, 5 ou 10 ans. Nous pouvons ici le faire à 100 ans. Si dans un siècle, la vie est tellement dégradée que notre boîte n’existe plus, avouons que c’est tout de même dommage ! Mettre une petite mise pour garantir le 100 ans avec une boîte qui fait un truc intelligent, ça peut valoir le coup ! Il faut faire quelque chose et je n’ai pas forcément le temps de le faire chez LDLC. Nous vendons les pires produits du monde ; ils viennent de Chine et sont composés de terres rares. Il n’y a rien d’écologique dans ce que nous vendons. Nous continuerons à les vendre parce que ces produits sont utiles et même indispensables. Mais nous essayons d’améliorer les choses à notre échelle et c’est la raison de notre engagement avec Time for the Planet.
Encore inaudible il y a quelques années et jugée comme le fruit de quelques militants et économistes farfelus, l’idée de décroissance fait son chemin et s’impose lentement. Quelle est votre position personnelle sur cette idée ?
Pour moi, il y a des pans de l’économie qui peuvent croître et d’autres qui doivent décroître. La décroissance matérielle liée à notre surconsommation est nécessaire. À chaque fois qu’on me demande comment améliorer le bilan de l’entreprise, il suffit d’acheter le nouvel iPhone tous les trois ans au lieu de tous les deux ans. On économise 30 %. Il y a quelques jours, un député me demandait comment créer de la sobriété informatique dans les entreprises. Je lui ai répondu que c’était très simple. Au lieu de passer l’amortissement sur 3 ans, passons-le sur 6 ans. Aune entreprise ne changera sur matériel avant 6 ans pour ne pas perdre la partie restante de l’amortissement. Vous verrez que les entreprises vont mettre tout de suite un coup de frein à leurs achats. Plus aucun DAF ne changera le matériel avant 6 ans. C’est une mesure simple à prendre pour s’engager rapidement sur la voie de la sobriété.
Je pense aussi que de nouvelles activités peuvent croître. Le service ne pollue pas ou peu. En travaillant 4 jours par semaine, les salariés peuvent profiter de la vie, en particulier grâce au tourisme vert. Cela libère un potentiel de croissance.
Vous avez le projet de créer des micro-fermes. Qu’est-ce qui vous motive à entreprendre dans ce secteur, là où l’on ne vous attend pas ?
Je sais que l’industrialisation de la ferme détruit nos terres, notre écosystème. Et je suis persuadé qu’on peut améliorer sensiblement la qualité de vie des agriculteurs. Voilà les deux raisons pour lesquelles je me lance dans ce projet. Pour aller vers la décroissance, je suis certain que pour avoir du travail, il faudra revenir dans les campagnes, faire le mouvement inverse de celui qui s’opère depuis des décennies.
Mon rêve est de salarier des fermiers. On me dit souvent qu’un agriculteur ne pourrait pas travailler 4 jours par semaine. Je pense que c’est faux. Si nous consentions à payer à l’agriculteur le vrai prix de ses produits, il pourrait vivre normalement et travailler 4 jours par semaine. L’équation est plus du côté du consommateur qui refuse de payer le vrai prix des produits. Il ne faut pas inverser le problème. Je suis convaincu qu’il existe un modèle économique rentable de petites fermes locales (entre 7 et 10 salariés) permettant la production et la transformation de produits en circuit court. Ce modèle pourrait être ensuite essaimé partout en France et même au-delà de nos frontières.
Si le Laurent de la Clergerie d’aujourd’hui pouvait donner un conseil au Laurent de la Clergerie de 1996, quel serait-il ?
Je me pose souvent la question suivante : si j’avais créé l’entreprise avec tout ce que je sais aujourd’hui, aurais-je réussi ? Je ne pense pas. Ma naïveté du début s’est avérée un énorme atout. Elle m’a fait explorer des pistes que je n’aurais pas osé suivre. En revanche, si je devais prodiguer un conseil à un créateur d’entreprise, ce serait de savoir renoncer à son idée initiale, de pivoter. Il faut savoir reconnaître que l’on n’a pas eu la bonne idée. Avoir la bonne idée du premier coup, c’est rare. C’est très frustrant, mais il faut l’accepter. En renonçant, il est alors possible d’exploiter une idée qui s’avérera géniale. C’est exactement ce qui m’est arrivé quand j’ai créé LDLC. Le site web était un accident. J’ai créé ce site uniquement pour apprendre à développer. Je n’avais aucune ambition de vendre quoi que ce soit par son entremise. Quand j’ai compris que le site allait cartonner, j’ai arrêté de coder pour les autres et j’ai continué sur cette nouvelle voie.
Vous avez créé une école qui forme aux métiers du numérique. Or cette école ne prépare pas spécialement à travailler chez LDLC. Quelle était votre ambition en réalisant ce projet ?
L’école LDLC n’est pas une école d’entreprise ; LDLC ne recrute effectivement personne issue de cette école. L’idée sous-jacente, c’est que je sais que je ne fonctionne pas comme tout le monde. Globalement, je sais parler à tout le monde dans l’entreprise. Je ne suis pas un professionnel de la technique, ni du commerce, ni de la comptabilité… mais je sais parler à tous ces métiers. J’ai voulu former des étudiants et leur apprendre à parler à tout le monde. Ils feront d’excellents chefs de projets ou entrepreneurs. J’ai dit au responsable de l’école au tout début : « clone-moi ! » Je veux – sans mégalomanie de ma part – que les étudiants puissent fonctionner un peu comme moi, avoir la vision d’ensemble, impulser une dynamique, ne pas devenir experts, mais comprendre les différents experts de l’entreprise. C’est un talent utile et même indispensable à tout chef de projet ou entrepreneur.
Crédit Photos : Véronique Vedrenne