La vidéo a fait le tour des réseaux sociaux. Lors de la remise de diplôme à HEC, le discours d’Anne-Fleur Goll appelant à la mobilisation générale pour affronter le problème du dérèglement climatique a été particulièrement remarqué. Et maintenant ? Anne-Fleur Goll est consultante climat chez Deloitte Sustainability et revient sur son combat pour la transition de l’économie.
Votre discours à la remise des diplômes de HEC a été largement salué. Cependant, avez-vous été l’objet de critiques ?
Non, je n’ai pas reçu beaucoup de critiques. J’ai surtout été critiquée parce que mon discours était en anglais, mais c’était imposé par HEC pour assurer l’inclusion de tous les élèves internationaux. En revanche, une chose a été mal comprise. On a cherché dans mes propos à opposer deux types d’action : d’un côté la contestation frontale en dehors du système, de l’autre la volonté de changer les choses de l’intérieur. Pour moi, il n’y a pas opposition, seulement des différences de stratégies. Militants radicaux, ingénieurs agro, entrepreneurs… nous devons tous agir pour servir notre objectif commun : l’urgence climatique. Chacun doit trouver la manière de s’engager, en fonction de ses envies, talents, compétences… En sachant aussi qu’une personne peut évoluer dans sa manière de s’engager en fonction de son parcours de vie.
Et vous alors ? Comment contribuez-vous aujourd’hui à cette lutte ?
En ce qui me concerne, je travaille à changer les stratégies et processus des acteurs financiers pour y inclure les limites planétaires. Par exemple, un investisseur peut imposer à ses entreprises d’implémenter une feuille de route climatique. J’essaye d’apporter la radicalité nécessaire dans les décisions des comités exécutifs : par exemple, en modifiant le plan de rénovations d’un investisseur en immobilier, je vais dans le sens de toutes les revendications des militants de Dernière Rénovation. Je le répète parce que c’est important : avec le même objectif, on peut avoir plein de types d’actions différentes.
Vous travaillez aujourd’hui dans un grand groupe d’audit et de conseil. En quoi consiste votre fonction de consultante climat chez Deloitte Sustainability ?
Je suis consultante en transition écologique. Mon rôle est d’apporter une expertise aux clients pour qu’ils aient la capacité d’affronter le problème des limites planétaires. Aujourd’hui, la pression réglementaire est de plus en plus forte, la pression du marché s’intensifie, sans oublier les risques réputationnels… Mais les entreprises ne savent pas toujours comment adresser le sujet. Nous répondons à cette problématique, en essayant d’embarquer les comités exécutifs, de faire prendre conscience des enjeux aux entreprises et de changer leurs modes de fonctionnement.
Quel est votre avis sur la décroissance ?
Pour répondre aux enjeux actuels, il est indispensable que certains secteurs décroissent parce qu’ils exploitent les ressources naturelles, tandis que d’autres vont devoir croître. Il semble également absurde de courir après l’unique chiffre de la croissance chaque trimestre sans prendre en compte d’autres indicateurs. Et puis tous les pays ne doivent pas décroître, ce sont les pays riches qui doivent le faire pour retrouver un équilibre. Tous ces éléments sont exactement la théorie de la décroissance. J’aime beaucoup la métaphore du régime qu’utilise Timothée Parrique. Nous devons nous mettre au régime parce que nous avons trop mangé ; il nous faut retrouver un poids de forme, une certaine stabilité. Nous devons trouver le bon régime qui empêche tout effet rebond. Tout cela demeure encore très théorique. Tout reste à faire, et la perspective de l’appliquer en pratique à des acteurs économiques me motive pour l’avenir.
Y a-t-il des moments où vous ressentez que vos convictions entrent en contradiction avec votre fonction, ou avec la mission de l’entreprise dans laquelle vous œuvrez ? Si oui, quand ?
Évidemment. On vit dans une société dans laquelle les personnes que l’on rencontre peuvent ne pas être toutes sensibilisées au problème du climat. Bien sûr, parfois certains ne sont pas coopératifs. Mais c’est le cas sur tout dans la vie, il faut faire avec. J’ai la chance d’appartenir à une équipe très engagée avec laquelle je me sens alignée. Notre travail, c’est de mettre les mains dans le cambouis, de mettre en place des choses concrètes. Par exemple œuvrer pour qu’une banque ne finance plus les énergies fossiles. Il y a aussi des moments où je désespère, mais je ne vois pas grand-chose de plus à faire. En tous cas, dans mon travail au quotidien, je ne vais pas à l’encontre de mes convictions et personne d’ailleurs ne me pousserait à le faire.
Dans votre mission, quel est l’écueil principal ?
Le risque de mon métier est de pécher par excès de réalisme, de céder à l’idée qu’aller plus loin est utopique. Il faut oser aller au-delà de ce que l’on estime possible, assumer la radicalité, c’est-à-dire aller à la racine des problèmes, toucher le cœur des business models de l’entreprise.
Que conseilleriez-vous à un dirigeant de TPE-PME ?
Le questionnement qu’un dirigeant d’entreprise doit entamer est très simple. Est-ce que ce qu’apporte l’entreprise est compatible avec les limites planétaires ? Sans doute non. Ensuite, quels sont les changements à faire pour pouvoir dire oui ? Ça peut être des petites adaptations (sur une entreprise de service à la personne par exemple) ou une remise en question plus profonde des activités de l’entreprise (ne plus concevoir et vendre de produits neufs par exemple).
Quel message de conclusion souhaiteriez-vous faire passer aux lecteurs de cette interview ?
Le défi est effrayant, hypercomplexe, mais aussi hyperstimulant. Pour ceux qui aiment faire bouger les choses, il y a tellement à faire pour contribuer à un monde vivable en 2050. Plutôt que de toujours penser à la contrainte, insistons sur ce que ce défi a de stimulant.