Appréciez-vous ces émissions de téléréalité dans lesquelles s’agitent des femmes et des hommes qui brillent rarement par leur niveau intellectuel ? Sans doute pas. Et pourtant – avouez-le – vous regardez ces émissions, parfois même avec assiduité et non sans un certain plaisir. Pourquoi cet attrait pour la bêtise? Tout simplement parce que ce spectacle est rassurant : par effet de contraste, on aime se sentir intelligent. « Je m’estime peu quand je m’examine ; beaucoup quand je me compare », pour reprendre en résumé la formule d’Auguste de Villiers de L’Isle-Adam.
Pourquoi les réseaux sociaux ont-ils été l’objet d’un engouement sans pareil ? Quel ressort profond contribue à leur réussite ? Première réponse qui nous vient : ces outils de communication permettent à notre égocentrisme de s’exprimer pleinement. Nous exhibons en effet selfies, photos de nos enfants, de voyage ou de nos assiettes, pseudo-réflexions sur l’existence, citations, coups de cœur ou de gueule… Tout cela pour espérer glaner le plus de « likes » possible. Cette quête s’avère d’ailleurs souvent maladive. Combien sommes-nous à régulièrement consulter notre appli préférée pour nous enquérir du nombre de réactions suscitées par notre dernière publication?
Égocentrisme, exhibitionnisme… Mais comme des centaines de millions de personnes s’adonnent à ce petit jeu, nous assistons à une concurrence à la visibilité sociale. L’utilisateur d’un réseau social fait tout pour donner de lui une image flatteuse, nourrissant chez ses followers des sentiments comme la jalousie, la frustration, la solitude, la colère, le ressentiment…
Un phénomène guère nouveau
Le secret de la réussite des réseaux sociaux réside donc dans cet attrait que nous avons à nous comparer aux autres. Attrait qui nous rend malheureux. C’est ce qu’ont démontré quatre chercheurs en sciences de l’information des universités allemandes de Humboldt et de Darmstadt dans une étude sur l’usage de Facebook. 40 % des 600 individus qui ont participé à l’expérience ont déclaré être plus malheureux après s’être connectés sur ce réseau. Les personnes qui ne publiaient rien sur leur journal éprouvaient plus fortement ces sentiments négatifs. Mêmes tendances (en pire) sur Instagram. « Une recherche portant sur 1 500 jeunes âgés de quatorze à vingt-quatre ans, au Royaume-Uni, a montré que la plateforme de partage photographique générait plus de malaise et de sentiment négatif que tous les autres réseaux sociaux. Pire, elle accroît les symptômes d’orthorexie névrotique – la tendance pathologique à vouloir ne consommer que des aliments sains. La raison en est bien sûr que les utilisateurs éprouvent souvent la tentation de se comparer avec d’autres qui, à force de filtres et de mises en scène, paraissent avoir des corps de dieux antiques. »[1]
Internet et la caisse de résonnance des réseaux sociaux ont amplifié un phénomène guère nouveau. Souvenons-nous de cet extrait du film Les portes de la gloire, qui illustre de manière humoristique comment exploiter la comparaison à des fins commerciales.
De nombreuses études montrent que notre bonheur ne dépend pas de ce que nous avons, mais de comment nous nous situons par rapport à ce que les autres possèdent. Voici par exemple l’énoncé proposé à des étudiants de l’École de santé de Harvard : « Imaginez que l’on vous demande de choisir entre deux mondes irréels dans lesquels les prix seraient les mêmes. Dans le premier monde, vous gagneriez 50 000 dollars par an, et les autres, en moyenne, 25 000 dollars ; dans le second, vous gagneriez 100 000 dollars par an, et les autres (en moyenne) 250 000. Lequel choisiriez-vous ? » La majorité des étudiants ont choisi le premier monde, ce qui apparaît profondément illogique. Mais la logique et la rationalité sont ici supplantées par la puissance du biais de comparaison sociale : l’individu évalue ses opinions et ses aptitudes en se référant à autrui.
[1] Gérald Bronner, Apocalypse cognitive, Presses Universitaires de France, 2021.
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